Chroniques

La «sélection» à l’aéroport Ben Gourion

AU PIED DU MUR

Israël se voulait un refuge pour les Juifs et les Juives persécuté·es par des siècles d’antisémitisme chrétien. Après la création de l’Etat juif, le terme «refuge» a été remplacé par celui de «retour». Ce n’est pas seulement le mot qui a été changé, mais toute la conception qui servait de base à la fondation de l’Etat d’Israël: d’un pays de réfugié·es fuyant les persécutions voire les massacres, il est devenu une puissance militaire, «sûre de soi et dominatrice» (de Gaulle) dont la morale est celle de la loi du plus fort.

Dans l’éducation des nouvelles générations israéliennes, la compassion a laissé la place au culte de la force: «Plus jamais ça» signifie «plus jamais ça à nous» – et tous les moyens sont légitimes pour les descendant·es des victimes du judéocide nazi.

A part Menahem Begin qui avait accueilli des boat people vietnamiens, Israël a toujours fermé ses portes aux réfugié·es, à commencer par les réfugiés palestiniens, victimes du sionisme et de l’hypocrisie d’une Europe «réparant» sa responsabilité dans le génocide des Juifs européens sur le dos des autochtones de Palestine, qui, eux, n’y étaient pour rien. Pas de place pour les réfugié·es, mais porte ouverte pour quiconque peut prouver une ascendance juive et souhaite effectuer son «retour» sur la terre de ses ancêtres. La porte d’Israël est fermée devant les victimes de massacres ou de génocides, et ceux et celles qui parviennent à entrer sont rapidement refoulés.

Oubliés les Juifs et Juives d’Europe qui fuyaient l’hitlérisme et devant lesquels presque toutes les portes étaient fermées, souvent refoulés vers les terres du génocide. Oubliée la tradition juive, inscrite explicitement dans le texte biblique, de compassion pour l’étranger persécuté. Oublié aussi le concept de «sélection» dans les camps de la mort, de Birkenau à Sovibor: la ministre israélienne de l’Intérieur n’a aucune honte quand elle l’utilise pour opérer un tri entre Juifs et non-Juifs dans la masse des refugié·es qui fuient la guerre en Ukraine: les Juifs «montent»1>En référence à l’Alya, terme hébreu signifiant littéralement «élévation spirituelle» et qui désigne l’acte d’immigrer en Israël pour une personne juive (faire son Alya), ndlr. en Israël et reçoivent immédiatement la citoyenneté ainsi qu’un «panier d’intégration», les non-Juifs doivent signer un engagement à quitter le pays dès que la situation se normalise dans leur pays d’origine, et laisser une lourde caution pour avoir la garantie qu’ils et elles ne resteront pas.

Une fois de plus, j’ai honte de mon pays; une fois de plus, je sens qu’il crache sur les tombes de nos ancêtres, de leur histoire, de leurs valeurs. Ces dernières sont cependant présentes dans la solidarité et la mobilisation dont font preuve des milliers d’Israélien·nes qui, eux, n’ont pas oublié, et aident du mieux qu’ils peuvent les refugié·es victimes de l’occupation russe en Ukraine, sans faire de sélection entre Juifs et celles et ceux qui, pour une fois, n’ont pas ce privilège.

Notes[+]

Michel Warschawski est militant anticolonialiste israélien, fondateur du Centre d’information alternative (Jérusalem/Bethléem).

Opinions Chroniques Michel Warschawski

Chronique liée

AU PIED DU MUR

lundi 8 janvier 2018

Connexion