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L’incendiaire de Cheikh Jarrah

AU PIED DU MUR

Le quartier de Cheikh Jarrah est bien connu dans le monde militant de Jérusalem: depuis une dizaine d’années, c’est le lieu d’une manifestation hebdomadaire contre la mainmise des colons et de la municipalité sur les maisons arabes, et le théâtre de confrontations parfois sévères entre la police et les manifestant·es et résident·es palestinien·nes mobilisés contre la colonisation du quartier.

Cheikh Jarrah a une longue histoire. A la fin du XIXe siècle, les grandes familles palestiniennes de Jérusalem, entre autres les Husseini et les Nashashibi, y ont construit de spacieuses résidences pour sortir de l’étroitesse et de la pauvreté de la Vieille Ville. Dès 1967, les autorités israéliennes ont fait main basse sur une partie de ces propriétés au motif que leurs propriétaires résidaient en «territoire ennemi» (en général la Jordanie) au moment de la conquête de la ville. Certaines familles espéraient que la paix avec la Jordanie leur permettrait de récupérer leurs biens; c’était mal connaître la nature coloniale de l’Etat hébreu.

Ce qui a été pris aux résidents de Cheikh Jarrah n’a pas été perdu pour tout le monde: avec l’aide active de la municipalité de Jérusalem, des colons se sont installés dans des maisons habitées depuis des décennies, voire plus d’un siècle, par des Palestiniens. Un des arguments juridiques s’appuie sur le fait que ces maisons – en fait une petite partie – appartenaient à des Juifs avant 1948; lesquels peuvent donc les récupérer, le droit de propriété étant, comme on sait, une valeur sacrée en Israël.

Sauf que ce droit est à sens unique1>En vertu de la loi de 1950 sur la propriété des absents, qui accorde à l’Etat le pouvoir de saisir les propriétés et actifs que les Palestiniens ont été contraints de laisser derrière eux en 1948  :aucun Palestinien n’a jamais pu récupérer ses biens, que ce soit à Jérusalem, à Jaffa ou en Galilée. Il ne fait aucun doute que les Palestiniens et leurs dirigeants accepteraient sur le champ un accord stipulant que chacun reprend ce qui était à lui en 1947-1948: l’immense majorité du pays et de ses terres étant à ce moment-là arabes.

Le député Itamar Ben-Gvir vient d’installer symboliquement sa représentation parlementaire à Cheikh Jarrah. Ben-Gvir est membre du parti fasciste Puissance juive, héritier de la Ligue de défense juive du rabbin Meir Kahane interdite par les autorités israéliennes pour ses actes de violence et ses incitations au meurtre de Palestiniens. Le député d’extrême-droite proteste contre la décision de la Cour suprême de repousser provisoirement l’expulsion d’une famille palestinienne de Cheikh Jarrah. Sa présence et celle de ses miliciens dans ce quartier à particulièrement sensible risque d’être l’allumette qui pourrait mettre le feu aux poudres au sein de la population arabe de Jérusalem, mais également se propager à l’ensemble des Palestiniens de Cisjordanie, de Gaza et des villes mixtes au cœur d’Israël. On a vécu une telle explosion l’an passé et c’est la dernière chose que souhaiterait le fragile gouvernement d’union dirigé par Naftali Bennett. Mais faire tomber l’actuel gouvernement est précisément l’objectif numéro un de l’extrême-droite. Et ce qui motive Ben Gvir dans ses provocations.

Notes[+]

Michel Warschawski est militant anticolonialiste israélien, fondateur du Centre d’information alternative (Jérusalem/Bethléem).

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lundi 8 janvier 2018

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