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Illogique? non, tout simplement sexiste

POLYPHONIE AUTOUR DE L’ÉGALITÉ

Le 19 janvier, à 9h01 précises, arrivait sur nos smartphones une notification push du journal 24 Heures: «Illogique: en Suisse, les meilleures footballeuses sont sifflées par des arbitres de la cinquième division masculine». Quelque chose semble discordant dans ce message.

Prenons le temps d’y réfléchir: il ne s’agit pas de l’annonce d’un fait discriminatoire – ça, malheureusement on en a l’habitude, en particulier dans le monde du sport. Il ne s’agit pas non plus du jeu de mots douteux autour des diverses significations du verbe siffler. Ainsi, utiliser une allusion au harcèlement de rue pour dénoncer une discrimination est surprenant, certes, mais pas incongru. Finalement, ce qui sonne faux dans cette phrase est le premier terme: «illogique».

Reprenons. Illogique se dit, selon le Larousse, de quelque chose qui se meut en dehors de la logique, qui est absurde. Or, dans un monde parfaitement égalitaire, un monde où femmes et hommes auraient accès aux mêmes domaines d’activités (professionnelles, sportives ou de loisirs), à des salaires égaux, exerceraient des activités bénéficiant de la même reconnaissance sociale, oui, dans ce monde-là, que des footballeuses de la Women Super League écopent d’arbitres de la cinquième division masculine serait absurde. Mais comme on ne cesse de le démontrer dans cette chronique, comme les mobilisations féministes ne cessent de le souligner, nous ne vivons pas dans un monde égalitaire.

Dès lors, il n’y a malheureusement rien d’absurde ou d’illogique à tout cela! Utiliser des juges de cinquième division pour arbitrer des matches de Super League est simplement la démonstration que même si, depuis le dernier championnat du monde, on s’intéresse un peu plus au football féminin, en réalité on s’en fiche encore largement! C’est rappeler, de façon brutale et violente, aux joueuses que, bien qu’elles soient les meilleures du pays, on ne va quand même pas trop les prendre au sérieux.

Ce faisant, ce rappel à l’ordre s’applique également aux supportrices, aux spectatrices, en bref à toutes celles qui auraient pu croire à un changement de fond. Ainsi, le sport féminin reste-t-il encore et toujours largement derrière LE sport qui, lui, se décline au masculin, à quelques exceptions près.

Cela se constate dans les rémunérations, dont l’écart est colossal. Cela se retrouve également chez les sponsors, et bien sûr dans les droits et les diffusions TV, qui ne semblent pas déchaîner les mêmes passions. Tout cela étant justifié par la moindre audience que trouveraient les sportives, dans les stades comme sur le petit écran.

Illogique? Non, au contraire, logique. Evident même. Ce n’est pas un accident de parcours, une erreur d’évaluation de la situation, une bourde, mais bien une loi, celle qui régit les rapports inégaux entre les sexes, un système qui n’a de cesse de se ré-articuler à chaque évolution.

Le système patriarcal ne cède pas, il se réinvente et, lorsqu’il ne le peut pas, il remet au pas, il rappelle à l’ordre. Parfois cela passe par la peur, mais parfois, comme ici, cela passe par l’humiliation. Celle d’être obligée d’obéir et de se soumettre – c’est bien de cela dont il s’agit face à un arbitre – à quelqu’un d’inférieur dans la hiérarchie sportive et, lorsqu’il s’agit d’arbitres masculins, qui reste un dominant dans la hiérarchie des sexes.

En ce début d’année, nous avons eu droit à différents petits rappels à l’ordre de ce type. Un autre, également largement médiatisé, concerne l’«Abbaye de Payerne» qui aura lieu cet été. La société de tir a ainsi tout simplement refusé le droit à 17 femmes de participer à cette fête traditionnelle.

Le refus n’a pas été timide: 440 «non» pour 203 «oui», mais au fond la signification est assez semblable. Il s’agit bien d’une remise au pas humiliante, l’une des requérantes étant gradée à l’armée, et donc habituée et habilitée à utiliser un fusil.

Ces deux exemples ont en commun une volonté de faire perdurer un ordre du monde, où femmes et hommes occupent des places distinctes et hiérarchisées entre elles, un ordre qui ne saurait être perturbé, même lorsque des femmes sont entrées dans des bastions (le football professionnel, l’armée, le tir sportif).

Pour ne pas commencer l’année sur une note trop défaitiste, peut-être faut-il se réjouir que des journalistes, à défaut d’en faire l’analyse, commencent à être surpris·es par les inégalités de traitement. Peut-être faut-il se dire que c’est un premier pas vers la sortie de la cécité qui frappe depuis tant d’années les discriminations sexistes, y compris dans leurs formes les plus violentes.

Peut-être faut-il aussi considérer ces humiliations comme des soubresauts, une façon pour le patriarcat de faire un dernier baroud d’honneur, avant de devoir accepter des footballeuses, des tireuses, des femmes libres de leurs choix, de leurs mouvements, de leur vie… Allez, disons-nous cela, car il y aura tant de luttes à mener en 2022, qu’un peu d’espoir est bien nécessaire!

Miso et Maso sont investigatrices en études genre.

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