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Sphère privée, liberté collective

Sphère privée, liberté collective
Le scandale Pegasus pointe ce qui menace le droit de chacun·e d’entre nous à ne pas subir le contrôle insidieux d’autrui. KEYSTONE
Surveillance numérique

Peut-on s’introduire légalement chez vous? Fouiller vos documents, compulser votre agenda, placer micros et caméras, puis rester à demeure sans que vous ne le sachiez? Non, évidemment. Or c’est exactement ce que des entreprises privées, tout à fait légales, organisent et vendent au plus offrant dans votre maison numérique: smartphone, cloud et ordinateur privé. Et ceci avec la complicité des Etats.

Cet été, l’éclatement du scandale Pegasus, du nom de ce logiciel espion de la société NSO, a mis en lumière l’immense marché des «failles numériques» et des logiciels mis au point pour les exploiter. Plus besoin d’intercepter un échange, il suffit d’expédier un protocole espion vers un smartphone ou un PC pour en prendre le contrôle sans que le passereau n’aperçoive son coucou. L’enquête du consortium de journalistes Forbidden Stories, appuyée par un expert d’Amnesty (que nous interviewons ce jour), révélait notamment comment des opposant·es et des journalistes avaient vu leur sécurité et celle de leurs proches ou de leurs sources compromise par l’utilisation de ces logiciels par des Etats répressifs.

Or ce n’est là que le sommet d’un iceberg qui menace le droit de chacun·e d’entre nous à ne pas subir le contrôle insidieux d’autrui. Etats voyous mais aussi entreprises ou simples privés fortunés peuvent aujourd’hui librement acquérir cette technologie quasi inarrêtable et indétectable. Si voisins et rivaux n’ont pas attendu ces logiciels malveillants pour s’épier, le basculement dans l’ère numérique a changé la donne et l’échelle. Qui peut aujourd’hui réellement se passer d’une activité et d’une identité numériques? Les injonctions à la prudence individuelle ou la morale antivirtuelle atteignent leurs limites. Devant la puissance des NSO and Co et de leurs technologies intrusives, la réponse sera forcément politique. Il n’y a de libertés réelles que collectives.

Jusqu’à présent les Etats ont pourtant préféré fermer les yeux sur cette dérive et tolérer les pratiques de ces sociétés, afin d’en acquérir les produits. Six mois après l’éclatement du scandale Pegasus, seul le gouvernement des Etats-Unis a réagi, plaçant NSO et quelques autres sociétés sur une liste noire. Une plaisanterie, quand on sait les tentacules numériques de l’Oncle Sam, révélées notamment par Edward Snowden. Mais qui a au moins le mérite de pointer ouvertement un danger.

Le silence européen, et notamment suisse, est, lui, désolant. Le libre-marché d’une technologie aussi néfaste et dangereuse ne peut mener qu’à une impasse. Tôt ou tard, il faudra commencer à chercher la sortie.

International Benito Perez Surveillance numérique

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