Édito

L’occasion fait le larron

L’occasion fait le larron
Jeudi, on apprenait qu’en Argovie des caméras étaient installées dans tout le canton pour surveiller en temps réel certains rassemblements. KEYSTONE/PHOTO PRETEXTE
Surveillance numérique

L’épidémie du Covid-19 ne doit pas servir de prétexte à la généralisation d’une surveillance numérique invasive. Une déclaration conjointe, signée par une centaine d’associations et coordonnée par Amnesty International, en appelle à un respect des principes de l’Etat de droit. Une urgence, effectivement.

De fait, il ne se passe pas une journée sans que certaines nouvelles technologies numériques ne soient déployées au nom de l’urgence sanitaire. Jeudi, on apprenait qu’en Argovie des caméras étaient installées dans tout le canton pour surveiller en temps réel certains rassemblements.

La France voit le déploiement de drones pour repérer d’éventuels contrevenants, voire suivre certaines personnes suspectes. Et chaque pays tente d’utiliser les big datas pour prévenir les infractions au confinement. Ce qui paraissait réservé à la Chine autoritaire – le contrôle social extensif y est généralisé – fait son lit dans le Vieux-Continent aussi. En se jouant d’un cadre légal souvent déficient.

Les grands opérateurs tentent depuis de nombreuses années de valoriser la manne qu’ils ont entre les mains – les habitudes de tout un chacun – et qui peut très vite être transformée en marchandise. L’occasion fait le larron. Le moment est venu de proposer opportunément ses services à des autorités dans le besoin pour ensuite plaider pour une généralisation de ce qui a pu faire preuve de son utilité en temps que crise.

L’appel diffusé jeudi par Amnesty s’inquiète de ces tentations. A double titre. Tout d’abord, donc, au nom d’une lutte indispensable contre les risques d’une dérive à la Big Brother –on sait aujourd’hui que les géants d’internet sont prêts à liquider les droits humains au nom d’espèces sonnantes et trébuchantes. Il est bien loin le temps où le slogan de Google était «Don’t be Evil [ne soit pas malveillant]» et où une certaine doxa libertaire préférait le privé à l’Etat forcément liberticide.

Mais aussi parce que la fracture numérique entre le Nord et le Sud peut avoir des effets redoutables au niveau sanitaire. En créant des angles morts, par exemple. Certaines populations risquent tout simplement d’être oubliées pour cause de retard technologique si on se fie uniquement à ces données compilées pour mener des politiques de lutte contre le virus. Elles mourront dans un silence numérique assourdissant.

Cet appel plaide pour un cadre légal à même de garantir l’Etat de droit. On en est loin. En ces temps de repli nationaliste et de fermeture des frontières, on a surtout vu chaque pays tenté par donner de la sorte un avantage concurrentiel à son ex-opérateur national en matière de téléphonie. Une vision du passé – ces entreprises n’ont plus le bien commun comme horizon – qui augure mal de l’avenir.

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