Édito

Impératif de solidarité

Impératif de solidarité
Mardi soir, quelque 80 personnes ont manifesté en solidarité à Mimmo Lucano devant le Consulat italien à Genève. JPDS
Italie

Pendant quinze ans, Domenico «Mimmo» Lucano a redonné vie à sa bourgade calabraise de Riace, dans l’extrême sud de l’Italie, en accueillant dignement les migrantes et les migrants tout juste débarqué·es d’Afghanistan, du Kurdistan, d’Erythrée ou du Nigeria. Dans cette région aux prises avec la mafia et oubliée de Rome, Riace est devenue, sous la férule de son maire et avec l’aide de l’Union européenne, un exemple de développement et d’intégration, où plusieurs centaines de réfugié·es vivaient, créaient, travaillaient parmi quelque 1500 «indigènes». Les rues du village ont repris vie, l’école communale a rouvert, et l’inexorable exode vers les villes a été freiné.

Constamment réélu depuis 2004, «Mimmo», lui-même ancien migrant, incarnait loin à la ronde un engagement social pragmatique et efficient, au point d’attirer les regards du Courrier, de Forbes ou encore de Wim Wenders. Le 30 septembre, un tribunal calabrais de première instance l’a pourtant condamné à plus de treize ans de prison ferme.

Plus zélée que le procureur, la Cour de Locri a appuyé sa sentence sur les libertés prises par le maire à l’égard des règles de la concurrence, afin de favoriser des coopératives locales de migrant·es. Des mariages auraient également été arrangés. Des charges bien légères – aucun enrichissement n’a été mis en évidence – en regard de la macro-enquête menée contre lui depuis 2017. Et surtout en regard de la peine infligée.

Le crime de «Mimmo» est bien sûr tout autre: Riace a prouvé des années durant que la solidarité entre pauvres – d’Italie et d’ailleurs – est plus féconde que la peur et le rejet. Qu’une autre politique migratoire, volontariste, ouverte et généreuse serait possible, et souhaitable pour le plus grand-nombre. Un précédent dangereux pour celles et ceux qui font commerce des ressentiments.

Matteo Salvini l’a bien compris, et le chef de la Lega a fait de Domenico Lucano l’une de ses cibles favorites. En automne 2018, le politicien d’extrême droite était d’ailleurs à la tête du Ministère de l’intérieur lorsque le maire de Riace était arrêté, suspendu de ses fonctions, placé aux arrêts domiciliaires, avant d’être interdit de séjour dans sa propre commune! Aux municipales de 2019, la Lega parvient à ses fins, elle remporte la mairie calabraise désertée par «Mimmo».

Deux ans plus tard et après le terrible jugement de Locri, il semble plus urgent que jamais de refaire de Riace un symbole. Celui de la résistance à une justice indigne et politisée mais aussi à l’avancée d’une pensée politique, elle, réellement criminelle. Qui lorsqu’elle aura terminé de déshumaniser les migrant·es s’attaquera à chacun·e d’entre nous.

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