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Une pétition

Carnets paysans

La notion de répartition est un des axes clés de la définition de l’agriculture paysanne portée par le syndicat agricole français la Confédération paysanne. Avec cette notion, c’est, bien sûr, l’équitable répartition de la valeur ajoutée tout au long des filières qui est visée. Une des caractéristiques du système agro-industriel est la concentration de la valeur ajoutée au niveau des industries transformatrices et de la distribution. La répartition, c’est également partager les terres pour contrer la tendance à la concentration. Mais la répartition, c’est aussi, peut-être surtout, répartir le travail, c’est-à-dire être plus nombreuses et nombreux à travailler moins tout en maintenant une rétribution digne.

C’est dans la ligne de cet objectif que la Plateforme pour une agriculture socialement durable et le groupe Résistance au plat du jour ont lancé une pétition demandant aux gouvernements de Berne et de Zurich à introduire dans les contrats types agricoles la semaine de quarante-cinq heures en moyenne avec une limitation des heures supplémentaires (contre cinquante-cinq heures actuellement) ainsi qu’un salaire minimum contraignant de 4000 francs par mois. La pétition demande également que ces deux gouvernements cantonaux s’engagent en faveur d’une soumission du secteur agricole au droit du travail. Rappellera-t-on en effet jamais assez que les travailleuses et travailleurs agricoles sont toujours soumis à un régime dérogatoire au droit du travail, ce qui prive les salarié.e.s agricoles d’une protection légale dont bénéficient la plupart d’entre nous.

On se représente à tort que la main-d’œuvre agricole est essentiellement composée de fermiers propriétaires de leur outil de production. En 2018, c’est un peu plus du quart de la main-d’œuvre qui était composée par des salarié.e.s n’appartenant pas à la famille du paysan ou de la paysanne. Dans les secteurs du maraîchage, de la viticulture ou de l’arboriculture, cette proportion peut être beaucoup plus importante.

Il ne faut pas se voiler la face, vouloir une agriculture moins mécanisée, moins dépendante de l’industrie chimique, c’est vouloir plus de travailleuses et de travailleurs agricoles. Or cet objectif ne peut se réaliser que de deux façons: soit en s’enfermant dans un système néocolonial où les prix bas sont maintenus grâce à des horaires et des rémunérations indignes mais bien meilleures que celles que les travailleuses et travailleurs rencontreraient dans d’autres pays; soit en choisissant la rupture, sur ce plan-là, aussi.

Le contenu de la pétition va dans le sens de cette rupture tout en proposant un premier pas tout à fait raisonnable et modéré. Les cantons de Berne et de Zurich sont visés parce que ce sont des grands cantons agricoles. Un succès de la pétition donnerait un signal fort pour l’ensemble de la Suisse alémanique, encore très en retard sur les horaires et les rémunérations des travailleuses et travailleurs de la terre. Le canton de Genève, par exemple, plafonne l’horaire moyen à quarante-cinq heures depuis 2013 déjà. C’est donc une revendication réaliste et appuyée par l’expérience.

Le salaire minimum recommandé (sans contrainte) est actuellement, dans la plupart des cantons, de 3300 francs bruts par mois pour des horaires dépassant le plus souvent les cinquante heures. La revendication d’un salaire minimum contraignant de 4000 francs reste, elle aussi, très modeste compte tenu de la pénibilité du travail.

Il faut rejeter toute argumentation opposant les différents statuts: signer une pétition en faveur de la rémunération des salarié.e.s agricoles, ce n’est pas demander que les paysannes et les paysans propriétaire de leur outil de production diminuent leur propre rémunération. La notion de répartition doit être mise en œuvre dans toutes les directions: répartition de la valeur ajoutée, répartition des terres, répartition du travail et des revenus. Et l’argent nécessaire peut sans difficulté être trouvé dans les poches rebondies des industriels de la transformation et de la distribution. Signons donc et faisons signer sans tarder cette pétition très raisonnable et souhaitons qu’elle trouve bon accueil auprès d’autorités politiques pour qui la valeur accordée à la production agricole se situe surtout dans l’ordre du discours.

Pour signer: http://www.agrisodu.ch/ ou https://act.campax.org/petitions/fur-bessere-arbeitsbedingungen-von-landwirtschaftlichen-angestellten

Frédéric Deshusses est observateur du monde agricole.

Opinions Chroniques Frédéric Deshusses

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mercredi 9 octobre 2019

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