Contrechamp

Peines alternatives, alternative à la peine?

Ces cinquante dernières années ont vu dans l’essor généralisé des peines alternatives l’espoir de croire en un mode plus satisfaisant, plus efficace – voire plus résilient – de rendre justice. Or, si les codes pénaux s’enrichissent de nouveaux types de peines et mesures, ils gardent intrinsèquement la même logique, selon la spécialiste Marie-Nathalie D’Hoop.
Peines alternatives, alternative à la peine?
Marie-Nathalie D’Hoop: «N’est-on pas en train de rendre non mesurable le coût de la peine dès lors qu’elle ne s’effectue plus en prison?»; photo: placement sous surveillance électronique. KEYSTONE
Justice pénale

Les études criminologiques, tous courants confondus, montrent les unes après les autres l’inefficacité des peines privatives de liberté lorsqu’elles ne sont prononcées ou exécutées que dans leur dimension de «rétribution». D’aucuns s’accordent à dénoncer les effets pervers du système carcéral et les dangers du «tout à l’institutionnalisation». Ce temps de mise à l’écart de la société libre pour éviter la commission de nouvelles infractions, sauvegarder des normes en vigueur ou encore protéger d’éventuelles victimes ne serait en réalité qu’un report, une remise à plus tard de problèmes non résolus voire aggravés – un peu à l’image d’une dette toujours reportée et dont les intérêts ne feraient que croître.

La cautérisation que peut représenter pour certains l’enfermement peut être porteuse d’une augmentation de difficultés en termes d’habilités sociales et relationnelles et/ou créer le lit d’addictions au long cours. Le parallèle financier n’a en l’occurrence rien d’incongru: la prison coûte cher. Si le répit qu’elle offre à court terme aggrave le risque de récidive à long terme et augmente le coût social et médical, la collectivité prend là un risque d’endettement chronique.

Par ailleurs, le principe de la rétribution – du coût à faire payer, de la pénibilité ou de la souffrance à faire subir – garde la part belle dans les schémas narratifs prêtant des attendus de société à nos dispositifs pénaux. Homicides, viols, terrorisme, agressions, vols, trafic de stupéfiants, escroquerie… méritent d’être punis à la hauteur de leur gravité ou de la souffrance qu’ils ont occasionnée. Peu de voix s’élèvent à l’encontre de cette idée. Il reste à pouvoir mesurer ce prix. Si le code pénal s’offre comme outil et s’enrichit presqu’à chaque législature de nouveaux types de peines et mesures, il garde intrinsèquement la même logique.

Nous avons, d’un côté, le temps du jugement qui dit la hauteur de la peine, celle subie par les victimes et celle à venir pour les auteurs à l’origine des crimes et délits, et, de l’autre, le temps de l’exécution de la peine et son issue tissée d’expectatives: celles de l’amendement, des bonnes résolutions et de la normalisation des comportements des auteurs, celles de la cicatrisation des plaies, de la pacification et de la sérénité retrouvée pour les victimes. La lecture devient évidemment plus complexe lorsque l’auteur est également victime, lorsqu’il n’y a pas de victime directe, que les victimes ne sont pas identifiables ou encore lorsque les crimes ou délits correspondent à des normes remises en question dans la société. La production de cannabis, l’évasion fiscale, la cybercriminalité, l’avortement, l’euthanasie… sont quelques exemples, parmi tant de domaines que le code pénal est censé régir et qui demandent une appréhension complexe des enjeux économiques, sociaux, culturels, éthiques ou moraux en présence.

Quant aux peines et mesures alternatives, leur lien avec les peines privatives de liberté est tel qu’il n’est pas besoin de préciser à quoi elles sont des «alternatives». Elles portent dès lors de facto, en elles, une forme de double contrainte: celle d’adoucir le coût prohibitif de l’incarcération tout en maintenant la garantie d’un poids à faire porter par les auteurs. Le risque est régulièrement rappelé, entre autres par le politique, de voir se propager chez nos concitoyen·nes le sentiment d’un Etat faible, qui ne sait plus protéger la communauté au regard de ce qui pourrait être vu comme une forme d’impunité accordée aux criminels et délinquants.

La question n’est donc pas de savoir si les peines alternatives peuvent être des alternatives à la peine, mais si elles peuvent raisonnablement concurrencer les peines privatives de liberté. La prison reste toujours l’épée de Damoclès et certaines de ces alternatives à l’enfermement, comme la surveillance électronique, les peines de travail ou les probations qui parfois sont dotées d’un dispositif conditionnel extrêmement lourd et long, souffrent de cette absence d’existence propre.

Nos établissements pénitentiaires, eux non plus, n’échappent pas à un paradoxe: celui de devoir faire entrer la société dans des enceintes pourtant supposées la prémunir de contact avec les détenus. On y fait venir l’école, des opérateurs de loisirs, le culte, parfois le monde de l’entreprise et des associations d’aide et de soutien. Mais leur construction, leur architecture, la manière dont on y pense la sécurité ou la vie au quotidien, quoiqu’on en dise, servent une cause, un projet qui peut, le cas échéant, se limiter au seul objectif de contenir des individus à l’écart du corps social – on ne l’a que trop vu durant cette période de Covid.

Une privatisation du «rendre justice»

Imaginons partir d’une page blanche… Est-ce que le signal d’un bracelet électronique, qui parfois nous dit où est une personne en temps réel (et parfois nous dit où elle n’est pas), serait considéré comme une réponse satisfaisante à la douleur causée par un crime ou un délit commis par un individu? Sait-on seulement si ce même individu, dont on sait qu’il est à un endroit donné à un moment donné, est éventuellement porteur d’une arme ou est en train de violenter un enfant? Que connait-on de lui qui puisse nous donner une indication sur la manière dont il se vit en société et sur la manière dont les membres de sa famille, son entourage, sa communauté vivent sa présence? N’est-ce pas là que se situe la question fondamentale? Celle autour de laquelle tout le mécanisme, le fonctionnement, la structure de nos démocraties humanistes se sont construits: le vivre ensemble pacifié dans le respect des droits et devoirs de chacun.

Le risque zéro n’existe pas et, au regard du nombre de drames qui tous les jours ont lieu, peu d’analyses prédictives fonctionnent. Cependant, si l’objectif des peines et mesures alternatives est de se donner toutes les chances pour qu’un auteur de crime ou de délit vive en société dans le respect des règles, du droit, de l’intégrité physique et morale de ses concitoyen·nes, alors la rencontre, la relation, la prise en compte des individualités et des systèmes dans lesquels elles évoluent sont le seul moyen d’avoir un tant soit peu d’information sur le degré d’adhésion et de «satisfaction» des parties concernées: auteurs, victimes, proches, communauté.

Il y a théoriquement un passage obligé par un stage en établissement pénitentiaire durant la formation des magistrats belges. Il s’agit pour eux d’avoir une idée au plus proche de la réalité de ce que signifie l’imposition d’une peine privative de liberté. Ne faudrait-il pas également un passage «obligé» par une sensibilisation aux conséquences de la peine en ce qui concerne les alternatives à la détention? Mais il n’est pas simple de faire émerger ces impacts dans leur réalité hors de la zone d’invisibilité dans laquelle ils demeurent. Dans une vision dont le centre d’intérêt se situerait sur les «modalités» du vivre ensemble, les peines et mesures seraient pensées en prenant en compte les effets et la nature de leurs interactions avec le milieu de vie.

Cette période de confinement due au Covid a vu, dans bon nombre de foyers, exploser la quantité de faits de violence intrafamiliale. Si l’on fait un parallèle dans le cadre d’une assignation à résidence, en cas de crise, qui doit quitter les lieux? Les proches ou la personne assignée, qui risquerait donc de se voir arrêtée ou incarcérée? Comment les systèmes familiaux vivent-ils cette pression? De quel accompagnement bénéficie un enfant dont le père qu’il voit tous les jours, enfermé à domicile, ne peut l’accompagner dans aucune de ses activités? Quelle place, quel rôle la justice donne-t-elle à cet entourage qui devient, par la peine ou mesure alternative, témoin direct de la contrainte subie, quand il n’est pas lui-même victime «collatérale» de cette contrainte? Les exemples sont nombreux de personnes toxicodépendantes qui font venir les dealers à domicile lorsqu’elles ne peuvent plus aller se fournir à l’extérieur, ceux de détenus acceptant des assignations à résidence alors qu’ils n’ont aucun réseau social et qui vivent un isolement complet, ceux encore de ces familles, précaires, qui voient leur situation s’aggraver de manière conséquente par la perte de revenus en changeant de statut, de ménage isolé à celui de cohabitant, en ayant dans le même temps la charge de leur proche auteur…

N’y a-t-il pas un déplacement de responsabilité des institutions de l’Etat vers les communautés à travers les peines et mesures alternatives lorsqu’elles sont construites au départ sur des intérêts de «l’appareil justice»? Une forme de privatisation du «rendre justice», avec ce que cela peut produire comme effets pervers. Dans le même temps, n’est-on pas en train de rendre non mesurable le coût de la peine dès lors qu’elle ne s’effectue plus en prison? Parmi l’entourage des auteurs, certain·es deviennent malgré eux les gardien·nes de l’exécution d’une peine alors qu’ils ou elles ont été absent·es de presque tout le processus en amont. D’autres, victimes ou proches, s’estiment oublié·es devant l’absence de garant, clairement identifié, de l’exécution de la peine lorsqu’elle prend la forme d’une alternative à l’incarcération… Comment prendre en considération, à sa juste valeur, cette charge usuellement déléguée aux institutions de l’Etat et qui est mutualisée ou dispersée sur toute une série de fonctions?

Prendre racine dans le corps social

Coûts humain et économique incalculables du système pénal et de l’exécution des peines, «invisibilité», insatisfaction… dans un siècle qui pourtant est caractérisé par un taux de décroissance de la criminalité et par une augmentation de droits individuels reconnus. Il est sans doute temps d’investir ces peines et mesures pour qu’elles puissent cesser d’être «alternatives à» et prennent racine, signification et reconnaissance dans le corps social. La justice restauratrice, qui s’occupe de trouver des pistes à même de restaurer des liens meurtris en impliquant tous les acteurs concernés, pourrait, à ce titre, être un véritable levier et nous donner les clés d’une réforme de fond.

Rencontre à Lausanne les 1er et 2 octobre

Marie-Nathalie D’Hoop interviendra sur le thème: «la liberté, un véritable enjeu de politique pénale» dans le cadre de la manifestation «Prison, justice et droits humains» organisée à Lausanne, les 1er et 2 octobre prochains, à l’occasion des dix ans d’activité du Groupe Infoprisons. Consacrées à la prison et la justice en Suisse et dans le monde, ces deux journées de réflexion proposeront des films et des débats au cours desquels interviendront des personnalités du monde judiciaire et des droits humains, de Suisse et de l’étranger. La manifestation se clôturera le 2 octobre par une soirée festive et musicale autour de témoignages de détenu·es. Cette rencontre s’adresse à toute personne intéressée par la thématique de la justice et des droits humains. CO

Programme et inscriptions sur le site infoprisons.ch

Marie-Nathalie D’Hoop est directrice générale adjointe du Service général Justice et Justiciable de la Fédération Wallonie-Bruxelles (Belgique).

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