Une cité hors-sol
Genève a-t-elle besoin d’une Cité de la musique? La question divise. Car le projet a tous les défauts d’un paquet (mal) ficelé. Un aspect fait consensus: rassembler sous un même toit les divers sites de la Haute école de musique (HEM). Le confort des élèves et la vie académique auraient tout à gagner d’un campus unique, bordé d’un parc public. L’implantation d’une institution culturelle sur la rive droite, qui en manque cruellement, est séduisante.
Mais dans un canton où chaque mètre carré compte, doit-on ériger des tours de verre et de béton au lieu de valoriser le bâti existant? Recyclage, préservation des écosystèmes anciens, ces exigences sont posées par le réchauffement climatique que Genève, par sa densité, subit de plein fouet. N’est-ce pas manquer d’imagination que de prétendre qu’il n’existe pas de plan B?Avec de la volonté politique – le Musée d’ethnographie en est la preuve –, une alternative de qualité peut être envisagée dans un délai raisonnable.
Beaucoup moins évident est le besoin d’une salle philharmonique de 1600 places, en l’absence d’étude sérieuse des publics. Sachant que son premier bénéficiaire, l’OSR, donne entre 30 et 40 concerts symphoniques par an à Genève. Rien n’indique qu’une telle jauge trouvera preneur le reste du temps. Et il faudra du personnel pour faire tourner la salle, de même que les deux espaces dédiés aux musiques actuelles. On touche là à la question des frais de fonctionnement: jadis évalués à 13 millions de francs, ils ont fondu face aux critiques. Le canton mettra tout au plus 2,5 millions, en principe pour la création. Mais le projet culturel, à ce stade, reste flou.
Projet démesuré, taillé pour «rayonner», financé par un mécène omniprésent – pour ne pas dire omnipotent –, la Cité de la musique a tout d’un projet hors-sol, parachuté d’en haut. Ceci alors que Genève, depuis un demi-siècle, construit sa culture par le bas, par le foisonnement associatif et les marges, lesquelles essaiment dans le tissu institutionnel. Les partisans de la Cité de la musique ont beau en vanter les mérites rassembleurs, le projet s’inspire davantage de la théorie du ruissellement: la prospérité des plus favorisés profitera aux plus faibles. Dans un canton qui octroie 80% de ses aides aux musiques de patrimoine au détriment de la création, l’argument est inaudible. On peut aimer la musique classique et juger le paradoxe indigne de Genève au XXIe siècle.