Chroniques

Bouffeurs de bois, de crottes et de cadavres…

ACTUALITÉS PERMANENTES

Les coléoptères sont le groupe animal le plus diversifié sur terre. Plus de 400 000 espèces de ces insectes sont décrites, sur un à plusieurs millions estimées (on ne connaît que 6500 mammifères!). Pourtant, peu sont bien connus: la sympathique coccinelle, des ravageurs comme les hannetons ou les vrillettes et puis quelques spécimens exotiques, comme les scarabées sacrés de l’Egypte. Leur diversification a permis aux coléoptères1 de s’adapter aux milieux et aux modes de vie les plus différents et de jouer un rôle clef dans des écosystèmes terrestres. Mais de nos jours, déforestation et agriculture industrielle, avides de profits immédiats, les détruisent, sans souci des catastrophes qu’elles causent.

Certains coléoptères naissent d’un œuf pondu dans du bois vivant, ou décomposé par des champignons, selon les cas. Leurs larves se nourrissent de cellulose, indigeste, grâce à des gènes dédiés et à des bactéries spécialisées qui squattent leur tube digestif. Ou bien après l’attaque du bois par les champignons. Dans certains cas, la femelle pondeuse (ou le couple parental) protège les larves et les nourrit – certaines par des œufs stériles pondus devant la larve! Elle transmet aussi les bactéries ou disperse les champignons indispensables… Parfois les larves sont élevées en sociétés coopératives, avec des comportements que l’on croyait réservés aux vertébrés. Des «nécrophages» pondent et se développent dans les cadavres, selon des modalités variées. Certains de ces minuscules croque-morts enfouissent de gros cadavres sous terre, préservant garde-manger et descendance.

La médaille de l’écologie est méritée par les bousiers. Ils ont découvert que les mammifères ne digèrent qu’un dixième de leurs aliments et gâchent tout le reste en excréments abandonnés à une piètre fertilisation du sol! Mieux que les mouches spécialisées, les bousiers font des bouses un or brun et ont acquis l’aptitude d’y vivre plus ou moins, de s’en repaître avec délices et de s’y reproduire! Certains pondent dedans et leurs larves y grandissent, vite avant que ça sèche! D’autres vivent dessous, creusent des galeries dans le sol et y déposent une boulette où ils pondent, qui nourrira leur larve jusqu’à sa métamorphose. D’autres bousiers enfin, comme on le voit si bien dans un film superbe2, roulent une énorme boulette loin de sa source, pour l’enfouir dans une galerie à l’écart. Pour qui sait les regarder, les coléoptères séduisent3

Pour celles et ceux qui trouvent que je m’égare dans du folklore naturaliste n’intéressant que des chercheurs inutiles, rappelons des chiffres illustrant l’importance des coléoptères dans les cycles écologiques. Entre le Kenya et la Tanzanie, la migration de millions d’antilopes, de zèbres et de buffles dépose plus d’un million de tonnes d’excréments par an, recyclé aux trois quarts par des bousiers! En Australie, l’importation de mammifères domestiques a produit, depuis un siècle, une quantité vertigineuse de bouses et crottes, qui stérilisait les prairies pendant des mois. Les bousiers locaux les dédaignaient, ne mangeant que celles des marsupiaux! Des mouches dangereuses pullulèrent alors sur quatre cent millions de bouses par jour, rien que pour les bovins! Le problème a été résolu en introduisant des bousiers européens et africains qui n’en firent qu’une bouchée! Enfin plusieurs…

Il est clair que, si nous continuons à laisser les trafiquants de bois sans scrupules éradiquer les dernières forêts tropicales et les assassins de l’agrochimie empoisonner les terres cultivées et les insectes, c’est nous, et surtout nos descendants, qui nous retrouverons bientôt… dans la merde!

1 La documentation de cet article vient du dossier «Coléoptères» de l’excellente revue Espèces, N° 39, mars-juin 2021, https://especes.org/ et en particulier des articles de Denis Richard et Pierre-Olivier Maquart, coordonnateurs du dossier.

2 Microcosmos, le peuple de l’herbe, de Claude Nuridsany et Marie Perrenoud, 1996.

3 Geneviève Meurgues, Du jardin de Buffon à l’Afghanistan, mémoires d’une naturaliste, éd. L’Harmattan, Paris, septembre 2019.

Opinions Chroniques Dédé-la-Science

Chronique liée

ACTUALITÉS PERMANENTES

lundi 8 janvier 2018

Connexion