Édito

Victimes déclassées

Consentement déclassé
Action nationale contre les violences sexuelles envers les femmes à Berne, devant le Palais fédéral, le 21 mai 2019. KEYSTONE
Définition pénale du viol

Dans de nombreux pays, une mobilisation prend de l’ampleur: elle réclame que le non-consentement de la victime soit pris en compte dans le cas du viol. En Suisse, elle réunit des dizaines d’ONG et de personnalités, dont des spécialistes en droit et des parlementaires, les milieux féministes et des centres d’aide aux victimes. Alors que le projet de révision du droit pénal relatif aux infractions sexuelles vient d’être mis en consultation, les réactions devraient être nombreuses.

Une étude de 2019 réalisée par l’institut gfs.bern montre que seules 8% des personnes qui ont subi des violences sexuelles portent plainte auprès de la police. Pourquoi ce rappel? Parce qu’il est l’un des enjeux du changement souhaité. Dans de très nombreux cas, la violence physique subie reste difficile à démontrer: toutes les victimes, loin s’en faut, n’en portent pas de traces, ce d’autant moins que la dénonciation a eu lieu un certain temps après les faits. Bien des agressions ne sont ainsi jamais dénoncées, les victimes craignant de ne pas s’être «suffisamment» défendues pour être crues.

C’est pour mettre fin à cette logique que leurs milieux de défense, notamment, se mobilisent, trop souvent amenés à devoir décourager les actions en justice – compte tenu des faibles chances de succès et de la pénibilité du processus. Déplacer la focale de la contrainte exercée au consentement refusé permettrait de faciliter la parole, comme l’a constaté la Suède par exemple, l’un des douze pays européens à avoir réformé sa loi en ce sens. A noter que ce déplacement n’implique pas un renversement du fardeau de la preuve: la présomption d’innocence reste acquise, et continuera à déboucher sur des non-lieux, lorsque la preuve ne semble pas être faite.

Mais dans le projet qu’elle propose, la commission des affaires juridiques du Conseil des Etats ne semble pas prête à tenir sérieusement compte de l’autodétermination sexuelle prévue par la Convention d’Istanbul dont la Suisse est signataire. Au lieu de modifier ses articles 189 (contrainte sexuelle) et 190 (viol), elle prévoit que les cas où ce dernier ne peut être démontré faute de preuve de contrainte soient «rétrogradés» dans un nouvel article 187a, qui concerne les actes commis contre la volonté d’une personne ou par surprise. «Rétrogradés»? La sanction maximale de ces «atteintes sexuelles» ne serait alors plus que de trois ans de prison contre dix ans pour un viol.

Ce compromis helvétique crée de facto une forme de viol «low-cost», où la qualification du délit dépend de la réaction de la victime, souvent prise au piège de relations de proximité et d’effet de sidération – la majorité des agressions ont lieu dans le cadre privé. Une façon choquante de punir les agressions sexuelles, que la consultation menée modifiera peut-être.

Opinions Édito Dominique Hartmann Définition pénale du viol

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