Chroniques

L’Afrique instrumentalisée

EST-CE BIEN RAISONNABLE?

C’est incroyable à quel point l’Afrique peut être instrumentalisée pour lui faire dire tout et son contraire. Dans le contexte de l’initiative sur les entreprises responsables sur laquelle les Suisses votent le 29 novembre, c’est sans conteste la parlementaire Isabelle Chevalley qui tient en la matière le haut du pavé. Mais la pratique est largement répandue : il y a tant de personnes connues ou inconnues, d’institutions, d’entreprises, qui s’estiment légitimes pour parler en son nom.

Je connais personnellement la parlementaire Vert’Libérale Isabelle Chevalley. Et j’ai eu l’occasion de la voir en action ici et ailleurs, avec sa formidable énergie, sa force de travail, son engagement au Burkina Faso où elle appuie, à titre personnel, des petits projets. Cela lui confère-t-il une légitimité pour parler au nom de l’Afrique lors des débats liés à l’initiative sur les entreprises responsables ? C’est, dans ce contexte, d’autant plus choquant qu’il est avéré, études à l’appui, que dans un environnement politiquement fragile et économiquement sinistré, de nombreuses entreprises s’y comportent comme des gangsters. Et que le rapport de force est si inégal, qu’une plainte a peu de chances d’aboutir dans le pays concerné. Rien à voir donc avec un quelconque “néocolonialisme”, concept utilisé à tort et à travers de manière inappropriée.

L’Afrique est si généreuse qu’elle permet à chacun et à chacune de s’y forger un destin. Cela peut prendre diverses formes. Par exemple d’acquérir une réputation de bienfaiteur au secours des plus misérables; celle d’un héros intrépide qui brave mille dangers (guerres, épidémies); de booster sa carrière. Ou encore de donner un sens à sa propre vie, dans un contexte bouillonnant où tout est passionnant et passionné, et ainsi échapper à une routine parfois déprimante. N’est-ce pas souvent avec des étoiles plein les yeux que les gens annoncent partir “en mission” sur le continent africain, comme si cela leur avait manqué, comme si, enfin, ils allaient revivre ?

L’instrumentalisation de l’Afrique est très répandue. Y compris par les multinationales. Il suffit d’ailleurs de jeter un coup d’oeil sur les sites web des plus importantes d’entre elles, pour constater à quel point, outre la “durabilité” (sustainabiliy), concept décliné à toutes les sauces, l’amélioration du sort des Africains est au coeur affiché de leurs préoccupations “altruistes”. La réalité montre cependant que dans le contexte économique difficile que connaissent les pays occidentaux, le continent africain apparaît toujours comme celui de toutes les opportunités, pour lesquelles les grands groupes internationaux se livrent une concurrence féroce.

C’est donc bel et bien un changement du rapport de force, sur les plans économique et politique, qui permettra aux pays africains de cesser d’être instrumentalisés de tous les côtés; de sanctionner les entreprises “voyou”; d’exprimer et de mettre en oeuvre eux-mêmes ce qui est bien pour leurs populations et ce qui ne l’est pas. Une telle “révolution” passe forcément par l’arrivée au pouvoir d’hommes et de femmes légitimement élus, sans tripatouillages de constitutions ni bourrage des urnes, comme c’est actuellement le cas dans de nombreux pays. Des coups de force qui peuvent compter, in fine, sur l’aval de pays occidentaux qui défendent avant tout leurs intérêts; et sont prêts à toutes les compromissions pour défendre leurs parts de marché. Tandis que, dans le même temps, les pirogues en direction de l’Europe continuent à afficher complet.

Notre chroniqueuse est journaliste.

Opinions Chroniques Catherine Morand

Chronique liée

EST-CE BIEN RAISONNABLE?

lundi 8 janvier 2018

Connexion