Chroniques

L’Ouest, le vrai

Mon rêve américain

Après un tour d’horizon des conditions de vie américaines en termes de travail, de santé, d’éducation et d’intégration, à la lumière de ma propre expérience de Suissesse expatriée1>Cf. les précédentes chroniques, dans le dossier ci-après., une question demeure: pourquoi s’installer durablement aux Etats-Unis quand le travail fait défaut, les salaires sont plus bas qu’en Suisse et que le logement y coûte comparativement plus cher? Réponse: l’attrait des grands espaces – en particulier les vastes étendues des Etats de l’ouest! Voyageuse à plein temps pendant près de cinq ans, j’ai pu apprécier ce style de vie nomade.

Venue avec quelques économies, un vague plan de séjour et ma fascination pour les grands territoires naturels, j’ai vite découvert que des millions d’Américains, souvent des retraités, vivaient en continu dans de larges motorhomes, sillonnant le pays, faisant halte dans des campings, des parkings, ou séjournant dans des lieux plus sauvages, hors des sentiers battus. Nombre d’entre eux travaillent en échange d’un emplacement de camping protégé, muni de branchements électriques et d’accès à l’eau, principalement dans les parcs d’Etat et les parcs nationaux. Ce système permet aux personnes dotées de petits budgets d’accéder sans trop de frais à leur rêve de vie nomade, tout en préservant un confort minimum, au moins pour quelque temps. J’ai vécu ainsi jusqu’à la naissance de mon fils, avant de quitter ma «maison à quatre roues» et les grands espaces afin de réintégrer une vie «normale», plus adaptée pour élever un enfant.

Durant ces cinq années passées sur la route, j’ai visité un grand nombre d’Etats. J’ai aussi découvert des aspects sauvages des terres américaines, parfois inattendus. Par exemple, les Etats-Unis abondent de serpents – pas forcément inoffensifs. S’il est très rare d’en croiser dans les grandes métropoles, j’ai pu en voir dans les villes de taille moyenne. Entre autres créatures qui peuplent le sud et le Midwest, on peut aussi compter les araignées (la veuve noire, venimeuse, et la tarentule, non venimeuse mais grande et poilue). Quant à l’alligator américain, non confiné à la Floride, on peut le rencontrer dans les lacs et rivières de tous les Etats du sud jusqu’à la Caroline du Nord. Plus au nord, ce sont les ours et les «lions de montagne» (cougars). Ou encore les mouffettes – à éviter tout autant que les premiers, au risque d’empester pendant plus d’une semaine.

Les parcs nationaux et d’Etat comportent de nombreuses restrictions pour l’explorateur moyen et demandent un droit d’entrée. Seuls les sites du Bureau of Land Management [agence du Département de l’intérieur qui gère les terrains publics] et les forêts nationales sont gratuits et ouverts à tous. Cela ne présume pas pour autant l’existence de routes ou de sentiers d’accès ni que la nature y sera paisible et préservée. Grand nombre d’Américains aiment en effet à se divertir sur ces territoires publics, quitte à les transformer en terrains de jeux motorisés: quads, jeeps, motos et autres véhicules tout-terrain, motoneiges en hiver… Et armes à feu! Dans chaque coin de nature, les champs de tir de fortune abondent et, en saison, les chasseurs aussi. Dans l’Etat de l’Idaho, la saison de la chasse, déclinée selon les espèces, s’étale sur la majeure partie de l’année: élans, cerfs, antilopes pronghorn, lapins, cailles, faisans, voire écureuils, ours et lions des montagnes. Rien n’est sauf. Les loups peuvent à nouveau être chassés et piégés, même si les groupes de défense des animaux se battent contre cette décision d’Etat.

S’il est une chose qu’un visiteur étranger doit savoir avant de partir explorer le vaste territoire américain, c’est qu’il sera souvent confronté à la présence d’innombrables clôtures. Ainsi, on peut être tenté de s’arrêter au bord d’une route de campagne afin d’explorer un ruisseau sinueux, une forêt, ou une formation de falaise, avant de découvrir que ceux-ci sont clôturés et bordés de panneaux en interdisant l’accès. En effet, les éleveurs de bétail et autres propriétaires terriens possèdent de grandes parcelles de terre qu’ils entourent de barbelés. Par ailleurs, le gouvernement Trump a élargi l’autorisation de pâture dans des zones jusque-là protégées, dont la flore a été anéantie et la faune mise en fuite par le piétinement d’immenses troupeaux. Tandis que les compagnies pétrolières ont obtenu le droit de forer au sein de parcs nationaux, et que la prospection et l’exploitation minière sont désormais autorisées dans des «monuments nationaux» (régions protégées) en partie déclassés.

Ainsi, l’environnement pâtit de mines à ciel ouvert, pipelines et autres puits géants qui laissent d’énormes cicatrices de plusieurs kilomètres carrés dans le paysage. En Idaho, des mines d’or encore en activité polluent les cours d’eau et la nappe phréatique. Et dans le nord-ouest américain, on pratique la coupe à blanc – l’abattage de la totalité des arbres – qui détruit l’habitat de nombreuses espèces animales de manière irréversible, produit une érosion des sols et envase les cours d’eau. Et ce ne sont pas les replantations d’arbres qui vont solutionner l’anéantissement programmé de certaines espèces rares, puisqu’il faut des décennies pour qu’un habitat se recrée.

Pas à pas, des gouvernements américains successifs avaient entrepris de réduire ­certaines sources de pollution, combattre l’utilisation de produits toxiques, subventionner l’énergie solaire et éolienne, pratiquer le recyclage et créer des emplois dits «verts». Le gouvernement Trump a brutalement annulé ces lois, considérées trop progressistes… Alors, l’Ouest, le vrai, pour combien de temps encore?

Notes[+]

Notre chroniqueuse est une Genevoise expatriée de longue date aux Etats-Unis (et ancienne secrétaire au Courrier). Cette chronique clôt la série «Mon rêve américain».

Opinions Chroniques Sabine Hartmann

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vendredi 2 octobre 2020

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