Chroniques

Liberté, justice et armes pour tous

Mon rêve américain

Tous les écoliers des Etats-Unis commencent la journée par un serment d’allégeance au drapeau américain, terminant par ces mots: «avec liberté et justice pour tous». Il est certes attachant de les entendre ânonnés par les enfants des classes maternelles, ça l’est moins quand un tyran du lycée les récite avec sa classe. Malheureusement, les mauvais traitements ne se limitent pas aux écoles. Les Amérindiens et Afro-américains, entre autres, ont des histoires infinies d’inégalité à raconter.

L’esclavage a été aboli en 1865 aux Etats-Unis; la ségrégation qui limitait la plupart des aspects de la vie des Noirs le fut en 1964. Les Amérindiens ont été admis à la citoyenneté en 1924; les hommes afro-américains ont obtenu le droit de vote en 1870 (les femmes, toutes origines ethniques confondues, n’ayant été autorisées à voter qu’en 1920). Cette chronologie montre comment la législation américaine a discriminé les citoyen-ne-s selon leurs origines ethniques et leur genre. (En relevant au passage qu’en Suisse, les citoyennes n’ont obtenu le droit de vote au niveau fédéral qu’en 1971.)

Après que le gouvernement américain eut violé tous les traités jamais signés avec les Amérindiens, les peuples autochtones vivent maintenant sans illusion le fait que l’empiètement sur leurs terres continuera et restera impuni. Le dernier exemple en date est un oléoduc géant, le Keystone Pipeline, qui s’étend du Canada jusqu’au cœur des Etats-Unis, en passant par des terres tribales et leurs aquifères. Après avoir vu au Texas des paysages ravagés par les puits de pétrole ou de gaz naturel et par la construction de pipelines, je saisis l’impact terrible que cela signifie en termes environnementaux et sociaux.

Justice à deux vitesses

Les Afro-Américain-e-s, après plus de deux siècles d’esclavage, sont censés être égaux aux autres citoyens. Mais toute personne dont les traits ou la couleur de peau diffèrent de ceux de la «race blanche» vous dira le contraire. Même parler avec un accent peut causer des ennuis. Un jour où, accompagnée d’une amie venant d’Afrique, nous nous trouvions à parler français dans un magasin, un vieux monsieur s’est approché et nous a insultées parce que nous ne nous exprimions pas en anglais. Il est notoire que la justice américaine fonctionne à deux vitesses, selon la couleur de peau. Les personnes issues des minorités ethniques sont traitées beaucoup plus durement que les Blancs, même pour de petites infractions. Quant aux personnes étrangères, ou supposées telles, elles doivent être à même de prouver à tout moment que leur permis ou visa est en règle.

Quelques mois seulement après mon arrivée aux Etats-Unis, alors que je voyageais près de la frontière sud, j’ai été interpellée par un agent d’immigration pour la simple raison qu’un de ses collègues avait présumé que le CH de mon passeport signifiait Chili. Supposément Chilienne, j’aurais dû détenir un visa différent de celui en ma possession. Il aura fallu plus d’une heure passée dans une salle d’interrogatoire austère pour que l’officier découvre son erreur. J’ai eu de la chance: mon visa était en règle et ma peau blanche… Atout important dans cette situation.

Il n’en demeure pas moins que la plupart des Américain-e-s sont des gens aimables, sans trop de préjugés. Mais il y a aussi des individus membres de groupes peu recommandables. Les adeptes du Ku Klux Klan existent toujours, bien que le mouvement ait perdu de son influence et ne représente plus qu’une part infime de la nébuleuse d’extrême droite américaine qui, elle, prospère. Apparemment, il y aurait au moins neuf groupuscules organisés de cet acabit dans l’Etat d’Idaho où je vis. L’objectif principal de ces organisations, dont les membres ont tendance à être armés jusqu’aux dents, est de créer un Etat ou un pays entièrement «blanc».

En fait, les lois de l’Etat d’Idaho permettent le port dissimulé d’armes à feu presque partout, y compris dans les épiceries, les églises et les universités. Tout-e citoyen-ne a, dès l’âge de 18 ans, le droit porter une arme à feu dissimulée sans avoir besoin d’un permis. Les personnes mineures y sont autorisées si elles sont accompagnées d’un adulte. Les histoires d’individus en colère ou éméchés brandissant des armes dans une dispute mineure, ou encore d’enfants parvenant à s’emparer d’une arme de poing chargée et non sécurisée abondent.
Le plus désolant est de voir à quel point la peur et les préjugés racistes influent sur les réactions des policiers et les poussent à la violence, comme les récents cas d’homicides commis sur des personnes afro-américaines par des policiers blancs l’ont encore rappelé. Systémique, ce racisme envers les Noir-e-s est à l’origine de la mobilisation de Black Lives Matter. Depuis l’émergence du mouvement en 2013, la situation ne s’est pas améliorée. Avec des milices armées d’extrême droite, stimulées par un président-candidat qui attise les flammes, la réalisation de la part de «liberté et justice pour tous» du serment des écoliers semble encore loin.

Genevoise expatriée de longue date aux Etats-Unis (et ancienne secrétaire au Courrier), Sabine Hartmann dépeint la vie de la classe moyenne de l’Etat d’Idaho, dans le contexte des présidentielles étasuniennes du 3 novembre 2020.
Rendez-vous vendredi prochain pour la suite de la série.

Opinions Chroniques Sabine Hartmann

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