Chroniques

Une vie sans assurance-maladie

Mon rêve américain

Je n’avais jamais pensé qu’il soit possible de vivre sans assurance-maladie, durant plus de quinze ans de surcroît. Ce fut cependant ma réalité ici, aux Etats-Unis. Bien que travaillant à plein temps, je n’avais pas les moyens de payer une assurance: les primes auraient absorbé plus de la moitié de mon maigre salaire. Je n’étais, hélas, pas un cas marginal. Avant 2014 et l’«Obamacare» – de son vrai nom «Affordable Care Act» (ACA), ou Loi sur les soins abordables –, il y avait des millions d’Américain-e-s dans ce même bateau.

Aux Etats-Unis, une assurance-maladie plus ou moins «abordable» pour les salarié-e-s et leur famille est souscrite par l’employeur et proposée comme «un privilège» dans le contrat de travail. Les employé-e-s temporaires ou à temps partiel n’ont généralement pas accès à cet «avantage». En outre, les entreprises de moins de cinquante employé-e-s ne sont pas tenues par la loi d’offrir une assurance-maladie.

L’un des effets secondaires de l’assurance consentie par l’employeur est que nombre d’employé-e-s, en particulier ceux souffrant de maladies chroniques ou en charge d’un membre familial malade, n’osent, et a fortiori n’osaient, pas changer d’emploi. En effet, jusqu’en 2014, le système américain permettait aux assureurs d’exclure les «conditions préexistantes» [l’historique médical] de tout nouveau contrat. De fait, certaines personnes demeurent encore dans des situations de travail abusives de crainte de perdre une assurance indispensable.

Le gouvernement fédéral a souvent affirmé que «personne ne meurt faute de moyens» aux Etats-Unis, mais j’ai vu le contraire. Un de mes voisins avait pris une retraite anticipée sans avoir de quoi payer une assurance-maladie. Etant tombé gravement malade, il fut pris en charge par des organisations caritatives qui, sur une période de deux ans, l’adressèrent à plusieurs médecins. Le bénévolat des praticiens et des hôpitaux ayant vite atteint ses limites, aucun examen, pourtant essentiel, ne fut effectué et le malade fut renvoyé sous prétexte qu’on ne savait pas de quoi il souffrait. Au bout de deux longues années, alors qu’il n’était plus que l’ombre de lui-même, un hôpital a eu pitié de cet homme souffrant et a effectué une biopsie. Diagnostic: un cancer de la gorge avancé. Mon voisin a subi une trachéotomie mais, le cancer s’étant propagé, il est décédé quelques mois après l’intervention. Il est fort probable que cet homme serait toujours en vie s’il avait eu les moyens d’accéder à des soins adéquats dès l’apparition de ses symptômes.

L’Obamacare ou ACA a radicalement changé cette situation. Promulguée en 2010 et entrée en vigueur en 2014, cette loi a permis à tout un chacun de souscrire une assurance-maladie avec ou sans antécédents médicaux, le gouvernement prenant en charge une partie des primes selon un barème basé sur le revenu de l’assuré-e. L’assurance-maladie est devenue obligatoire, ce qu’elle n’était pas auparavant. Des millions de personnes ont ainsi été affiliées à une caisse maladie pour la première fois de leur vie.

Hélas, les pourvoyeurs d’assurances et de soins – dont beaucoup d’entreprises cotées en bourse! – ont trouvé de nouveaux moyens pour réaliser des bénéfices au détriment des assurés. Par exemple, les soins prodigués dans une clinique peuvent être couverts, mais pas les frais de laboratoire. Tous les examens effectués sont alors facturés aux patients – une situation que j’ai vécue à mes dépends. Un autre exemple concerne les soins et médicaments coûteux que l’assurance peut refuser de prendre en charge. Dans un pays aux mille et un intermédiaires, sans aucun contrôle des prix des médicaments, cela peut rapidement devenir problématique pour les patient-e-s.

Le président Trump a combattu l’ACA depuis son premier jour à la Maison Blanche, comme il a combattu tout ce qui venait de son prédécesseur Obama. Sa dernière demande d’invalidation de la loi est actuellement pendante devant la Cour suprême. Après avoir échoué à abolir l’obligation d’une assurance pour tous, la «Team ­Trump» conteste désormais la constitutionnalité de l’ensemble de l’ACA. Si la Cour suprême s’aligne, ce sont plus de 20 millions d’Américains qui perdront leur couverture de soins. Alors que la crise du Covid-19 s’est traduite par une perte d’emploi et d’assurance-maladie pour des millions de personnes, l’éventualité d’une invalidation législative est d’autant plus inquiétante, au moment précis où des soins d’urgence pourraient s’avérer vitaux.

Genevoise expatriée de longue date aux Etats-Unis (et ancienne secrétaire au Courrier), Sabine Hartmann dépeint la vie de la classe moyenne de l’Etat d’Idaho, dans le contexte des présidentielles étasuniennes du 3 novembre 2020.
Rendez-vous vendredi prochain pour la suite de la série.

Opinions Chroniques Sabine Hartmann

Chronique liée

Mon rêve américain

vendredi 2 octobre 2020

Connexion