Chroniques

Travail et prospérité pour tous?

Mon rêve américain

The American Dream! Le concept promet liberté et égalité pour tous, et la prospérité aux travailleurs d’outre-Atlantique. Apparemment, nombre d’Helvètes y croient aussi, puisque les consulats suisses enregistrent chaque semaine de nouveaux arrivants désireux de s’installer aux Etats-Unis, où ils comptent de toute évidence gagner leur vie avec en tête un plan de carrière, l’espoir de gravir les échelons sociaux, voire peut-être du pouvoir. Schwarzenegger, né en Autriche, est bien devenu une star de cinéma, puis gouverneur de la Californie!

J’ai aussi poursuivi le rêve américain. Poussée par l’envie d’une vie stimulante, allégée de contraintes, dans de grands espaces où, à défaut de trouver de l’or, il serait possible de croiser la réussite professionnelle. Partie de Genève en 1997, après un détour par le Mexique et le Canada, j’ai vécu au Texas, en Arkansas, avant de m’ancrer dans l’Idaho. L’Idaho. Un Etat en grande partie rural et un bastion de la droite américaine. Ici, nombreux sont ceux qui s’imaginent toujours vivre quelque part à la frontière de l’Ouest et croient que les Indiens ont été remplacés par des hordes de migrants illégaux – le plus souvent imaginaires – qu’ils rendent responsables de leurs maux, sans remettre en cause une volonté politique appointée par les multinationales et autres acteurs de la finance mondialisée.

Gagner ma vie en Suisse ne m’avait jamais semblé trop problématique. Dans le «pays de la prospérité» en revanche, trouver et garder un emploi s’est avéré plus hasardeux, constat fait que mes compétences linguistiques ne constituaient pas une valeur ajoutée. Lors de ma première embauche à un job de bureau, j’ai d’abord pensé que les conditions proposées étaient une blague. Comment vivre avec 11 dollars (10,15 francs) de l’heure quand il faut payer loyer, garderie, transports et se nourrir? Qui voudrait d’un emploi avec zéro jour de vacances et seulement cinq jours de congé-maladie payés par an? Après avoir travaillé dans trois Etats différents, j’ai compris que ces conditions constituaient la norme dans les Etats-Unis d’aujourd’hui. Et les migrants mexicains1>L’Idaho comptait 6% de migrants dont 52% de Mexicains en 2018, selon l’American Immigration Council. qui se voient offrir des conditions de travail bien pires encore n’y sont manifestement pour rien.

Il y a certes des Etats qui, comme Washington et la Californie, protègent davantage les travailleurs. Mais la plupart des employés étasuniens vivotent à la limite de leurs cartes de crédit. Il n’est pas rare que des parents cumulent, chacun, deux voire trois emplois, en confiant leurs enfants à des garderies, au mieux aux grands-parents. Comme cette grand-mère d’une collègue qui, Covid oblige, a accueilli ses arrière-petits-enfants quand les écoles ont fermé. A 80 ans, la vieille dame a eu bien du mal à les épauler pour leurs devoirs en ligne.

Du côté de l’égalité salariale, ce n’est pas mieux. Les écarts entre femmes et hommes s’étalent selon les Etats de 5% à plus de 25%, comme c’est le cas en Idaho. Celles et ceux qui envisagent de faire carrière savent qu’à partir du moment où, au bout de longs mois payés au salaire horaire, ils recevront un salaire mensuel fixe légèrement supérieur, on attendra d’eux qu’ils travaillent jusqu’à 60 heures par semaine sans rémunération additionnelle. De quoi pulvériser tout rêve d’ascension sociale, a fortiori pour une femme élevant seule son enfant. Où trouver le temps à lui consacrer, quand on n’est pas résolue à le confier à plein temps aux aides peu qualifiées des garderies?

Quant aux lois dites «employment at will» (emploi à volonté) appliquées sous une forme ou autre dans les cinquante Etats de l’Union, elles permettent au patron de licencier sans avoir à donner de motif et avec effet immédiat. Trop souvent, la personne licenciée n’a droit aux indemnités chômage que si elle peut prouver qu’elle a été congédiée à tort.

Alors le «rêve américain»? Quasiment hors de portée du citoyen moyen, il n’existe que dans la nostalgie collective d’un passé lointain et probablement imaginaire. Peu d’Américains vivent à Hollywood! Et personne en bordure du Far West où, selon l’histoire, les pionniers se sentaient libérés des contraintes gouvernementales et religieuses… et, paraît-il, exauçaient parfois leur rêve de devenir riches.

Notes[+]

Genevoise expatriée de longue date aux Etats-Unis (et ancienne secrétaire au Courrier), Sabine Hartmann dépeint la vie de la classe moyenne de l’Etat d’Idaho, dans le contexte des présidentielles étasuniennes du 3 novembre 2020.
Rendez-vous vendredi prochain pour la suite de la série.

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