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La tragédie des élections

EST-CE BIEN RAISONNABLE?

En Suisse, les élections sont une formalité. Certes, les partis se mobilisent, débattent parfois avec passion, mais rarement des troubles viennent émailler ces rendez-vous électoraux. C’est ce type de «démocratie apaisée» à laquelle aspirent de nombreux pays, sous d’autres cieux où les élections, tout particulièrement présidentielles, sont des périodes de tension généralisée, parfois même d’affrontements physiques entre partisans de l’un ou l’autre camp, voire de combats mortels entre milices du parti au pouvoir et de l’opposition.

En se promenant ces jours-ci dans les quartiers d’Abidjan en Côte d’Ivoire, on peut constater que des ouvriers s’affairent pour surélever les murs autour des habitations; des portes en fer garnies de piquants sont installées pour protéger des quartiers d’éventuelles incursions; les boutiques qui n’en sont pas déjà pourvues sont garnies de lourds rideaux de fer. Ce sont de petits travaux «normaux» en période préélectorale, où tout est possible, y compris le pire.

A quelques semaines des élections présidentielles du 31 octobre, en Côte d’Ivoire les gens sont inquiets, font des réserves de vivres. Ceux qui en ont la possibilité ont déjà envoyé leur famille en France ou ailleurs à l’étranger, à titre préventif, pour que les enfants, après une fermeture des écoles de plusieurs mois pour cause de Covid-19, ne doivent pas à nouveau interrompre leur scolarité ou leur formation pour cause de troubles pré ou post-électoraux.

Alors que le pouvoir en place et l’opposition se défient à coups de déclarations incendiaires, les citoyens et citoyennes se sentent plus que jamais pris en otage, instrumentalisés par une classe politique inamovible, avec les mêmes représentants depuis plusieurs décennies. Les projets, les investissements sont gelés, le pays vit en apesanteur, les gens retiennent leur souffle. Chacun s’en remet à son dieu, quel qu’il soit, pour lui demander d’éviter les souffrances, pas si lointaines, qu’avait connues la population durant la guerre civile qui avait conduit à la partition du pays.

«Nous vivons une véritable tragédie», entend-on dire souvent. Entre un président vieillissant, qui tient absolument à rempiler pour un troisième mandat – ce que la Constitution ne permet pas – et des représentants d’une opposition formée d’ex-présidents, premiers ministres et autres responsables politiques qui n’ont pas brillé par leur gestion des affaires publiques, le choix est cornélien.

«Nous allons voter pour l’un ou l’autre par défaut, sans aucun espoir», confie une cadre d’une grande entreprise. Elle fait partie des nombreux jeunes très bien formés, rentrés d’Europe ou des Etats-Unis pour mettre leurs compétences au service de leur pays. Et retrouver la joie d’être chez soi. Aujourd’hui, beaucoup sont déçus, et craignent de devoir à nouveau s’expatrier si la situation politique et sociale se dégrade dans la foulée des élections. «C’est un immense gâchis, il y a tellement de compétences dans ce pays, soupire-t-elle, mais la politique et la prédation qui l’accompagne gangrènent toute la société.»

Notre chroniqueuse est journaliste.

Opinions Chroniques Catherine Morand

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lundi 8 janvier 2018

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