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Masques

En coulisse

Il est réconfortant de voir à quel point le lexique moliéresque aide à définir la situation politico-sanitaire actuelle dans les différentes analyses de presse ou sur les réseaux sociaux. Il est question, de manière récurrente, de «diagnostics à la Diafoirus» pour critiquer l’impréparation des différents ministères de la Santé dans le monde, se gausser des prévisions erronées des experts médiatiques. Et bien évidemment, le substantif de Tartuffe surgit immédiatement sous la plume de n’importe quel éditorialiste honnête ou observateur avisé, lorsque Macron ou l’un des ses clones occidentaux nous promettent des lendemains qui chantent, un nouveau système basé sur l’égalité des chances, le respect de la nature, etc.

Pour rappel, Diafoirus est le nom de deux personnages, un père et un fils médecins, orgueilleux et incompétents, dans la pièce Le Malade imaginaire, et dont les diagnostics empirent l’état du patient. Tartuffe, dans la pièce du même nom, est un religieux dépravé et profiteur, pratiquant l’inverse de ce qu’il prône. Le terme est devenu l’équivalent d’hypocrite, mais à un niveau de duplicité supérieure. Quel ébahissement, au beau milieu du marasme actuel, de constater que le génie de Molière est si puissant que sa radiographie du genre humain demeure d’une actualité criante cinq siècles plus tard! En ces temps où le port du masque médical s’avère bienvenu, il nous faut, suivant la jurisprudence moliéresque, nous intéresser à l’autre masque, celui de l’élite politico-économique, que nous n’avons pas réussi à arracher à temps pour éviter la situation gravissime que nous vivons.

Car c’est bien par le biais du masque tartuffien que les politiciens et économistes de tout poil ont réussi, au cours de ces dernières décennies, à berner les peuples, à pousser les gens à se soumettre à un système qui ne pouvait que les envoyer dans le mur. Un rapide tour d’horizon, à l’échelle européenne, des apôtres du néolibéralisme à tout-va nous fait constater qu’ils se composent pour moitié de gens issus du sérail socialiste! Sous le prétexte fallacieux d’alternance démocratique, les tenants de la même doxa se sont succédé aux postes-clés avec des masques différents au service de la même caste ultraminoritaire. Les Pascal Lamy (ex-directeur de l’Organisation mondiale du commerce) ou Pierre Moscovici (ex-commissaire européen aux Finances), pour prendre deux Français emblématiques, sont tous deux membres du Parti socialiste, avec même un lointain passé trotskyste pour le second.

Tout le monde s’accorde pour dire qu’un retour au monde d’avant relève du suicide et qu’il nous faut inventer un nouveau modèle radicalement différent qui tienne compte du respect des individus comme de la nature (pour aller vite); le problème – éminemment théâtral – est moins la manière dont ce modèle se définirait (les alternatives ne manquent pas, les propositions sont nombreuses) que le personnel politique qui le porterait.

A cet égard, une interview de l’ultra-symbolique Jacques Attali en début de période de confinement au téléjournal «Le 19h30» de la RTS n’augurait rien de bon. Pris au saut du lit en mode training cool, l’ancien conseiller de Mitterrand et président (sous Sarkozy) de la «commission pour la libéralisation de la croissance» (ça ne s’invente pas!) indiquait à un Darius courtois les recettes politiques de l’avenir, en prônant l’inverse de tout ce qu’il avait préconisé depuis quarante ans! L’élite décomplexée qui ose tout (selon la maxime d’Audiard) changeait de camouflage en direct, ou plutôt le raffinait dans une démarche tartuffienne qui augure de sa mutation, tout aussi dangereuse que celle du virus, et dont il nous faut en priorité nous méfier. On peut compter sur ceux qui détiennent les leviers économiques de la société pour ne pas les lâcher de si bonne grâce; plusieurs tactiques sont possibles, la grossière (Trump et ses manifestants spontanés), la brutale (les dictatures diverses) et la raffinée (celle qui a cours dans nos démocraties).

Le théâtre est l’art du démasquage; en jouant un personnage, en mettant un masque réel ou figuré, les acteurs renvoient le mensonge de la société au public. Le thème du théâtre est, dans l’absolu, celui du mensonge des puissants. Le théâtre, comme l’Histoire, peut nous appendre à repérer les différents masques déjà utilisés par les ennemis du genre humain, à identifier ceux qui ont déjà servi et à nous méfier de la nouvelle panoplie en gestation. Parfois le personnel politique est mauvais acteur, et les masques tombent par inadvertance. Ici un «oreiller de paresse», là un «il faudra travailler plus», vite rétropédalés, borborygmes d’excuses en sus, car il ne faudrait pas tomber le masque trop tôt.

Mais pour le reste, les spin doctors et autres communicants nous concoctent déjà des discours progressistes à faire pâlir d’envie le Che, à interpréter par les Macron, Merkel, conseillers fédéraux et consorts.

On préférera avoir une pensée pour les vrais et bons acteurs de théâtre, victimes collatérales de cette situation délirante, à qui les diverses offices de chômage enjoignent désormais d’aller ramasser des fraises et de trouver un métier rentable.

Notre chroniqueur est auteur metteur en scène, www.dominiqueziegler.com

Opinions Chroniques Dominique Ziegler

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lundi 8 janvier 2018

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