Chroniques

Comme la corde soutient le pendu

Carnets paysans

Les membres de la coopérative viticole valaisanne Provins ont accepté la semaine dernière que leur coopérative soit transformée en société anonyme et vendue au holding coopératif Fenaco (Le Nouvelliste, 17 avril 2020). Si, dans l’immédiat, ce rachat sauve Provins qui faisait face à des difficultés financières insurmontables, c’est assurément une mauvaise nouvelle pour le secteur agroalimentaire. Ironie du sort, le résultat du scrutin a été annoncé le 17 avril, date de la Journée internationale des luttes paysannes…

Fenaco est l’un de ces monstres coopératifs qu’a engendré, partout en Europe, la libéralisation des marchés agricoles, selon le processus fort bien décrit par le regretté Patrick Herman dans un article du Monde diplomatique. Un agriculteur breton, interrogé par Herman, se souvient: «Au milieu des années 1980, on a commencé à entendre qu’on entrait dans une ère de compétition et qu’il fallait se regrouper. Les directeurs financiers diffusaient la bonne parole dans les assemblées générales des coopératives. Elles ont commencé à se bouffer les unes les autres, et la gestion est devenue opaque pour les paysans-administrateurs. L’éloge de la réussite individuelle a relégué l’ambition collective au second plan. […] Et puis, tout est devenu compliqué, et les paysans ont peu à peu accepté d’être dépossédés.»1>Patrick Herman, «Pratiques criminelles dans l’agroalimentaire», Le Monde diplomatique, septembre 2017, p. 21. On a appris au début de ce mois le décès de Patrick Herman, auteur de remarquables enquêtes sur les travailleuses et travailleurs saisonniers de l’agriculture. Cette dépossession a permis la constitution de Léviathans de la coopération agricole. Le groupe Vivescia, par exemple, qui résulte de la fusion de plusieurs coopératives de l’est de la France, s’enorgueillit sur son site de fabriquer désormais un croissant sur dix en Europe…2>Collectif, Notre pain est politique, éds. de la Dernière lettre, 2019, pp. 28-29.

Les ressorts de ce mouvement de concentration des acteurs coopératifs de l’agroalimentaire ont été décrits en détail dans la Revue internationale de l’économie sociale3>Maryline Filippi, et al., «Les coopératives agricoles face à l’internationalisation et à la mondialisation des marchés», RECMA: Revue internationale de l’économie sociale, 2009, n°310, pp. 31-51. Accès: bit.ly/2wXGY87. La filialisation, c’est-à-dire la possibilité pour les coopératives de détenir à 100% des sociétés anonymes, est l’outil principal du processus. La structure filialisée permet d’offrir d’importantes rémunérations aux managers des filiales, hors du contrôle des organes coopératifs, et de jouer habilement avec les résultats aux différents échelons pour faire peser les pertes des filiales sur les comptes de la maison mère.

Fenaco, dont Guy Parmelin fût vice-président jusqu’à son élection au Conseil fédéral, correspond parfaitement à ce tableau. Fondée en 1993, cette coopérative résulte de la fusion de six fédérations de coopératives agricoles. Elle chapeaute, entre autres, les marques Landi (commerce de détail), Agrola (stations service, livraisons de fioul), Ramseier (boissons gazeuses), etc. Son modèle économique est celui de l’intégration verticale, c’est-à-dire de l’absorption de l’ensemble des acteurs d’une filière. Fenaco achète les patates et sa filiale Frigemo fabrique les frites surgelées qui sont vendues à McDonalds. Fenaco achète les pommes et sa filiale Ramseier produit du jus. Et ainsi de suite jusqu’à la vente au détail. Des investigations préliminaires de la Commission de la concurrence, datant de 2007, semblaient montrer que Fenaco contrôlait alors la moitié du marché des céréales et des pommes de terre de production suisse, 65% du marché des oléagineux et 25% de celui du porc.4>Willy Boder, «Le géant agricole Fenaco est dans le collimateur de la Comco», Le Temps, 17 novembre 2007.

Ainsi, l’ancienne cave coopérative valaisanne a été rachetée par un groupe qui est… le sixième plus gros importateur de vin en Suisse via sa filiale DiVino-Garnier. Nous connaissons aujourd’hui une crise viticole causée par les importations. Dans ce contexte, c’est un très dangereux soutien que Fenaco apporte aux vignerons valaisans, tout en continuant à faire couler à flots le chardonnay californien à 6,27 francs le litre dans ses magasins.

Notes[+]

Notre chroniqueur est observateur du monde agricole.

Opinions Chroniques Frédéric Deshusses

Chronique liée

Carnets paysans

mercredi 9 octobre 2019

Connexion