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Règlements de comptes aux César

Règlements de comptes aux César
L’actrice Adèle Haenel a quitté la salle à l’annonce du prix. KEYSTONE
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Les enjeux des César étaient cette année moins artistiques que politiques. Avec J’accuse en favori face au Portrait de la jeune fille en feu (respectivement douze et dix nominations), c’est la réaction française au mouvement MeToo qui se jouait vendredi soir sous les projecteurs, quelques mois après une nouvelle accusation de viol contre Roman Polanski et les révélations de la comédienne Adèle Haenel, harcelée par le réalisateur Christophe Ruggia. Au-delà du cas Polanski, la crise interne de l’Académie fait écho aux critiques contre un cinéma français où, devant comme derrière la caméra, femmes et minorités restent sous-représentées.

Le palmarès aurait dès lors une dimension symbolique. C’est le cas, sans équivoque. Le sacre des Misérables (meilleur film et trois autres prix) a été éclipsé par celui de Polanski. En lui décernant le César du meilleur réalisateur, les votants ont affirmé leur soutien indéfectible au cinéaste – et à sa relecture orientée de l’affaire Dreyfus, en saluant aussi le scénario. Ainsi, au moment où les Etats-Unis condamnent Harvey Weinstein, la France honore Roman Polanski. Au pays de la «liberté d’importuner», MeToo attendra. «La honte!», fulminait Adèle Haenel en quittant la salle à l’annonce du prix. Lui accorder le trophée de la meilleure actrice aurait été un signe fort, mais Portrait de la jeune fille en feu repart avec une seule statuette (pour la photographie de Claire Mathon). L’Académie prime par ailleurs Grâce à Dieu et le documentaire M, qui dénoncent des abus pédophiles en milieu religieux, sans y voir le moindre hiatus.

La cérémonie, boycottée par l’équipe de J’accuse, s’annonçait tendue. Elle fut éprouvante. Durant plus de trois heures, la grande famille du cinéma français a donné le spectacle d’un piteux psychodrame, émaillé de pesants moments de malaise: un mauvais remake de Festen, avec Polanski dans le rôle du patriarche. Maîtresse de cérémonie, Florence Foresti s’essaie à l’humour grinçant, mais ne réapparaîtra pas sur scène après le prix décerné à Polanski. Remettant embarrassé, Jean-Pierre Darroussin marmonne le nom du réalisateur pour exprimer sa désapprobation. Plus subtile, Fanny Ardant évoque les «jugements qui condamnent». La comédienne Aïssa Maïga compte, sur les doigts d’une main, le nombre de Noirs présents dans la salle.

Jamais le microcosme du cinéma français n’aura paru si divisé, à l’image du débat polarisé qui se déchaîne dans la presse et sur les réseaux sociaux. Les uns saluent la parole libérée, les autres entonnent le refrain du on-ne-peut-plus-rien-dire, ou jouent leur rôle comme si de rien n’était, refusant de choisir un camp. Reste finalement la désagréable impression d’avoir assisté au procès public de Polanski, mais un procès voulu par ses défenseurs, ayant nommé douze fois son film. Et gagné par l’intéressé. Une victoire aussi amère que la défaite de ses détracteurs, qui renvoie à plus tard la nécessaire remise en question de la profession.

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