Cinéma

Polanski: l’homme, l’artiste et la critique

Polanski: l'homme, l'artiste et la critique
Une avant-première de "J'accuse" a été annulée à Paris après une manifestation féministe. Capture d'écran. DR
Roman Polanski

Vendredi dernier, une nouvelle accusation de viol contre Roman Polanski a mis un terme prématuré à la promotion de son nouveau long métrage, exercice délicat en pareilles circonstances. Jean Dujardin et Emmanuelle Seigner ont notamment annulé leur venue au JT de TF1 et à l’émission Boomerang sur France Inter. Les révélations de Valentine Monnier ne sont pas seulement embarrassantes pour le cinéaste et les comédiens de J’accuse. Deux semaines après le témoignage d’Adèle Haenel, elles acculent aussi la presse culturelle à une nécessaire remise question.

Dans la tourmente, la critique s’accroche encore à son mantra: il faut distinguer l’homme et l’artiste. Dans les médias, la séparation s’opère par rubriques – les affaires à l’info, le cinéma à la culturelle. «Il y a l’homme et il y a le film, et la rédaction de France Inter fait son boulot par rapport aux accusations portées contre l’homme», tranchait sa directrice Laurence Bloch. Parti pris pour le moins surprenant, quand la politique des auteurs chère à la critique promeut les analyses biographiques. Chaque article souligne ainsi que ce film sur l’affaire Dreyfus est l’œuvre d’un cinéaste juif dénonçant l’antisémitisme, mais la plupart ignorent ou réfutent le parallèle évident avec la situation judiciaire et médiatique de Polanski – alors que lui-même encourage à mots couverts une telle lecture (lire notre exergue).

Une critique schizophrène continue ainsi à célébrer aveuglément le cinéaste, toujours poursuivi par la justice étasunienne pour le viol de Samantha Geimer en 1977 et accusé de faits similaires par une dizaine de femmes depuis 2010. Une position devenue indéfendable après les enseignements de MeToo et l’électrochoc Haenel. Taire la «part d’ombre» de Polanski, ou refuser de la voir dans ses films, participe à la culture du viol, qui nie la parole des victimes et accorde l’«immunité artistique» aux créateurs de génie. Il faut en prendre conscience – ou l’assumer.

Auteure d’un article dithyrambique sur Jean-Claude Brisseau1>Cinéaste condamné deux fois pour harcèlement sexuel et agression sexuelle. Sa rétrospective à la Cinémathèque française, prévue après celle de Polanski et finalement annulée, avait fait polémique en 2017. en mai dernier, Camille Nevers semble l’avoir compris aujourd’hui: «Les planètes se sont alignées on ne sait par quelle belle aberration, des forces et des coïncidences se sont liguées pour nous empêcher, nous critiques aux mains blanches, de traiter sereinement la sortie de J’accuse en salles – son évaluation en tant que plus ou moins bon film dont le commentaire devrait se contenter. On peut toujours faire comme si, mais il faut beaucoup se contorsionner maintenant, ou y mettre beaucoup de dédain obstiné, pour feindre qu’il ne se passe rien à côté – et dedans.»2>«Polanski rattrapé par son ‘J’accuse’», Libération, 12 novembre 2019.

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