Pari électoral
La Bolivie prend-elle le chemin de l’apaisement? La mort de 32 opposants au gouvernement de facto instauré il y a une douzaine de jours par l’armée et la police a sans doute pesé dans l’accord conclu samedi au parlement de La Paz. A l’unanimité, élus du Mouvement vers le socialisme (MAS) et de l’ancienne opposition ont adopté une loi annulant le scrutin contesté du 20 octobre et prévoyant des élections générales d’ici à la mi-avril. Une présidentielle qui se déroulera sans Evo Morales ni le vice-président, Alvaro García Linera, mais à laquelle le MAS a reçu la garantie de pouvoir se présenter.
Pour le parti de l’ancien président indigène, nettement majoritaire aux Chambres, les sacrifices consentis sont énormes. D’abord, car il se prive de son charismatique fondateur et admet l’annulation d’un succès électoral, dont personne n’a encore pu prouver qu’il a été frauduleux. Qui plus est, le MAS devra probablement affronter ces nouvelles élections sans de nombreux autres leaders historiques, exilés et/ou pourchassés par le gouvernement de Jeanine Añez. L’ancien cocalero lui-même doit répondre d’une grotesque accusation de «terrorisme» et de «sédition». Enfin, le parti va faire campagne dans le collimateur des médias, les très rares organes favorables à Evo Morales ayant été mis au pas depuis son renversement le 10 novembre.
De fait, l’exécutif en place apparaît aujourd’hui renforcé, bénéficiant même de la reconnaissance du Mouvement vers le socialisme. Samedi, dans la foulée de la loi électorale, la majorité parlementaire a ainsi renoncé à une loi d’amnistie, cédant à la menace de Mme Añez de ne pas promulguer la convocation des urnes…
Mais le MAS avait-il un autre choix? Sans doute les blocages de routes de ces derniers jours ont-ils forcé le gouvernement de facto à modérer ses ambitions et imposé le respect d’institutions – parlement, drapeau indigène – honnies par les putschistes. Mais cette mobilisation semble indiquer que la constellation syndicale, paysanne et indigène bolivienne n’a plus tout à fait le poids ni l’unité qui étaient les siens il y a seize ans lorsqu’elle entraîna la chute du président néolibéral Gonzalo Sánchez de Lozada. Lundi, le mouvement refluait d’ailleurs dans tout le pays, résigné à suivre la stratégie électorale.
Reste à savoir si le pari démocratique et pacificateur d’Evo Morales et de ses partisans sera payant. L’épouvantail de l’ultra conservatisme bolivien, incarné par les fous de dieu Camacho et Añez, aura peut-être un effet unificateur auprès de la majorité progressiste et plurinationale du pays. Associé à une candidature renouvelée issue du mouvement populaire, cela offrirait une conclusion des plus morales à cette triste histoire. A méditer dans les deux camps.