Édito

Inventer les possibles

Inventer les possibles
L’initiative pour une Suisse sans armée a impulsé des dynamiques politiques. L’armée n’a plus eu quartier libre pour dépenser à sa guise. Elle doit rendre des comptes. KEYSTONE
Armée

Et si on supprimait l’armée? Le 26 novembre 1989, il y aura trente ans mardi, un tiers des Suissesses et des Suisses acceptaient une initiative iconoclaste, utopique et dont certains craignaient qu’elle réunisse moins de 10% de voix.

La portée de ce vote dépassa largement la simple question militaire. C’est un certain modèle social qui fut ébranlé. La Suisse n’a pas d’armée, elle est une armée, avait estimé le Conseil fédéral dans son message aux Chambres. Il n’avait pas compris ou voulu comprendre que l’alliance du sabre et du capital ne fonctionnait plus de la même manière. L’économie avait évolué, grader et passer des semaines à patauger dans la gadoue devenaient un fil à la patte pour une économie confrontée à la globalisation.

Par ailleurs, Mai 68 avait ébranlé une vision hiérarchique et patriarcale de la société. Les Trente Glorieuses étaient révolues, la crise pétrolière était passée par là, laminant l’espace dévolu au compromis social. Le Groupe pour une Suisse sans armée (GSsA) a su cristalliser et se placer en relais de ces nouvelles réalités sociales et politiques ainsi que du désir de changement qu’elles impliquaient.

Trente ans après, posons la question du bilan. L’initiative pour une Suisse sans armée a impulsé des dynamiques politiques. L’armée n’a plus eu quartier libre pour dépenser à sa guise. Elle doit rendre des comptes. Et elle s’est en partie modernisée: paradoxalement le mouvement pacifiste a dégagé un espace pour des jeunes désireux d’œuvrer pour une armée avec davantage de muscle et moins de gras, compatible avec l’Otan, en phase avec l’armement hyper sophistiqué qui a cours de nos jours.

Et surtout, le cycle contestataire que ce mouvement a incarné – et incarne toujours – s’est quelque peu épuisé. L’heure est au retour de bâton idéologique, en Suisse et dans le monde. L’extrême droite montre de nouveau son mufle hideux avec un sans-gêne inquiétant.

Mais d’autres dynamiques souterraines surgissent au grand jour. La grève des femmes ou le mouvement climatique montrent que le même combat pour un futur désirable reste ancré dans le cœur des hommes et des femmes. Ces mobilisations ont intégré la complexité nouvelle du monde, elles refusent certaines simplicités du passé, tout en gardant le cap sur les enjeux essentiels. Elles sont potentiellement porteuses de moments de rupture, comme le vote de 1989. Et donc de dynamiques de progrès social. Tout est ouvert.

Opinions Suisse Édito Philippe Bach Armée Groupement d'une Suisse sans armée

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