Chroniques

Friedrich Engels bientôt bicentenaire

L'histoire en mouvement

Né le 28 novembre 1899 en Westphalie, Friedrich Engels est resté dans la postérité comme le grand ami de Marx, celui qui le soutint financièrement pendant ses plus dures années et qui co-signa certains de ses textes les plus célèbres. La singularité de son parcours personnel ne permet pourtant pas de le réduire à un simple faire-valoir de son illustre compagnon de lutte: personnage intrépide, amateur de science militaire et touche-à-tout, c’est notamment lui qui initie Marx à l’économie politique dans les années 1840.

Fils d’un industriel du textile particulièrement conservateur, Engels parvient à s’émanciper provisoirement de son milieu familial en partant faire son service militaire à Berlin en 1841. Il en profite alors pour fréquenter les cercles étudiants progressistes, dont il s’était rapproché philosophiquement quelques années auparavant. En novembre 1842, il est envoyé par son père à Manchester, ville industrielle par excellence à cette époque, afin de parfaire sa formation au contact d’un associé de l’entreprise familiale. Ce séjour vise bien sûr aussi à l’éloigner de ses amitiés subversives.

C’est pourtant l’inverse qui se produit: comme lors de son passage dans l’armée prussienne, Engels va mener une double vie en Angleterre en enquêtant, en parallèle de ses activités professionnelles, sur les conditions de vie des travailleuses et travailleurs qui s’agitent dans le Manchester de l’époque. La ville est alors le foyer d’innombrables luttes syndicales et c’est au contact des partisans de Robert Owen et des militants chartistes1>Le chartisme est un mouvement politique ouvrier qui s’est développé au Royaume-Uni au milieu du XIXe siècle à la suite de l’adoption en 1838 de la «Charte populaire» (People’s Charter), ndlr. que le jeune Friedrich affine sa vision du bouleversement économique qui se produit sous ses yeux. De ces observations, il tire un livre aujourd’hui encore célèbre: La situation de la classe laborieuse en Angleterre, qui paraîtra en 1845 et marquera profondément Marx.

Entre-temps les deux hommes se sont déjà rencontrés puisque c’est au mois d’août 1844 que débute une collaboration qui durera près de quatre décennies. Ils ne tardent pas à se mettre au travail: en février 1845 parait déjà La Sainte Famille, où Marx et Engels règlent en quelque sorte leurs comptes avec leurs anciens camarades. S’ensuivent notamment la rédaction de L’Idéologie allemande, qui ne sera pas publié, et le célèbre Manifeste du parti communiste que la Ligue des communistes leur commande en 1847. Durant les événements révolutionnaires de 1848 qui secouent un bon nombre de nations européennes, Engels retourne sur sa terre natale combattre les forces prussiennes aux côtés des insurgés.

L’échec des forces révolutionnaires et la répression qui s’ensuit forcent les deux hommes à s’exiler vers l’Angleterre dès 1849. Alors que Marx s’installe à Londres, où il passera l’essentiel du reste de son existence, Engels s’établit à Manchester et intègre l’entreprise familiale, de laquelle il peut retirer un revenu suffisant pour soutenir financièrement son ami. Les années 1850 sont pour ce dernier particulièrement difficiles, marquées par de nombreux deuils et un travail journalistique intensif (réalisé en partie par le même Engels) qui ne lui permet pourtant pas de subvenir aux besoins de ses proches.

Mais Engels ne se contente pas de jouer le rôle de mécène: comme sa correspondance avec Marx en atteste, il est avide de nouvelles connaissances et multiplie les lectures dans des domaines aussi divers que les sciences naturelles, l’anthropologie ou les écrits militaires. Certains de ses derniers ouvrages tels que Dialectique de la nature, non publié de son vivant, et L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’Etat, publié en 1884, reflètent la diversité de ses centres d’intérêt.

Accusé d’avoir simplifié l’œuvre de Marx après le décès de ce dernier en 1883 pour en faire un dogme rigide, Friedrich Engels occupe aujourd’hui un rôle ambigu, au point par exemple que Maximilien Rubel l’exclut de la sélection d’écrits de Marx qu’il concocte pour la Bibliothèque de la Pléiade dans les années 1960. Pourtant, celui qui fut confronté bien plus que son compagnon à la montée en puissance de la social-démocratie allemande et aux impératifs politiques inhérents ne fit pas que dédier le reste de sa vie à l’organisation des exploités: il acheva tant bien que mal les deuxième et troisième volumes du Capital, laissés en jachère par Marx.

Cette double casquette de théoricien et de militant communiste, qui était déjà celle de Marx, faisait écrire au grand historien Edward Palmer Thompson: «Avec quelle générosité il s’est consacré, à la fin de sa vie, aux manuscrits de son vieil ami et à une correspondance incessante avec ce mouvement! Il se peut bien que l’on apprenne des erreurs d’Engels: il n’aurait rien souhaité d’autre.»

Notes[+]

L’association L’Atelier-Histoire en mouvement, à Genève, contribue à faire vivre et à diffuser la mémoire des luttes pour l’émancipation, info@atelier-hem.org

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