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Mémoires d’une naturaliste hors du commun

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Il est des vies qui sortent du commun et celle de Geneviève Meurgues, professeure au Muséum national d’histoire naturelle de Paris (MNHN), en fait partie. Née dans une modeste famille catholique du Morvan, elle aurait pu devenir femme au foyer ou bonne sœur. Mais la passion de la nature et de l’observation, acquise auprès d’un grand-père qui travaillait dans les bois, une curiosité scientifique précoce, l’émigration de ses parents en région parisienne et un désir d’étudier insatiable lui ont construit un autre destin.

Ingénieure en chimie, elle passe par le monde médical avant d’être recrutée au MNHN pour mettre au point la lyophilisation de champignons à des fins d’exposition. Elle réussit à rendre ces êtres mous et putrescibles présentables dans leurs couleurs à long terme, mais elle naturalisera aussi, par la même technique, quantités d’autres plantes et animaux. A une époque où les expositions du MNHN sont surtout des accrochages de curiosités naturalistes, elle veut leur faire porter des messages scientifiques exacts et compréhensibles par tous, consultant les scientifiques les plus compétents et traduisant leur propos. Ce qui nécessite aussi des visites guidées pour lesquelles elle se passionne, et des textes d’exposition, parfois longs.

Ces derniers lui valent des conflits avec certains décorateurs soucieux de l’esthétique des présentations, pas de leur contenu! Avec un bel entêtement, Geneviève Meurgues crée un service de muséologie scientifique moderne à une époque où le concept émergeait en Amérique du Nord et était quasi inexistant en Europe. La liste des sujets traités dans ses expositions est impressionnante: des Météorites à la microscopie électronique, du Sahara avant le désert aux Coquillages du monde, de l’Histoire naturelle de la sexualité à la Grande Galerie de l’évolution, et tant d’autres, dont beaucoup ont circulé à travers la France, l’Europe et le monde, jusqu’au Maroc et en Chine! Les péripéties lors de la réalisation des expositions et de leur circulation dans des régions et pays de cultures très différentes ont été des sources de quiproquos et parfois de gags illimitées…

Passionnée de petites bêtes dès son plus jeune âge (ce qu’elle attribue à sa myopie!), Geneviève Meurgues consacrait l’essentiel de ses loisirs et vacances à l’étude des insectes, au point de rejoindre les sociétés savantes qui les étudiaient avec des compétences professionnelles. Ce qui la conduisit à une spécialisation étonnante pour le profane: l’étude de charançons de haute montagne qu’il fallait aller chercher près des neiges éternelles en Turquie, au Népal, en Inde ou en Afghanistan! Elle partait donc avec des passionnés de son genre à l’assaut de sommets reculés, dans des conditions locales complexes, sinon dangereuses.

Ses carnets de voyage, qui forment la seconde partie de ses mémoires très illustrées1>Du jardin de Buffon à l’Afghanistan, mémoires d’une naturaliste, Geneviève Meurgues, éd. L’Harmattan, Paris, septembre 2019., sont souvent désopilants, en particulier les récits des rapports de ces voyageurs improbables avec les autorités et les populations locales! Il n’est pas toujours évident d’expliquer que l’on va chercher des charançons en haute montagne dans des pays exotiques en guerre ou en révolution!

L’histoire de Geneviève Meurgues est une histoire de passions, de travail inlassable et de courage. Il faut sans doute la même volonté de fer et le même sens de l’organisation et des rapports humains pour mener à bien un projet d’exposition impliquant des dizaines de collaborateurs centrés chacun sur son activité et ignorant les autres, que pour organiser une expédition de collecte de spécimens dans des zones reculées de pays difficiles. Les succès de l’auteure de ces mémoires sont sans aucun doute le fruit de la combinaison de passion, de détermination, de générosité et de diplomatie dans les rapports humains. Chef de projet ou pas, Geneviève Meurgues savait motiver les équipes auxquelles elle participait, par l’exemple autant que par la solidarité avec les plus modestes.

Notes[+]

* Chroniqueur énervant.

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lundi 8 janvier 2018

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