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Les Etats doivent mettre en place un service civil de remplacement au service militaire

Chronique des droits humains

Jeudi dernier, la Cour européenne des droits de l’homme a dit que l’Azerbaïdjan avait violé l’article 9 de la Convention qui garantit à toute personne le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion pour avoir condamné à plusieurs mois de prison des jeunes hommes qui avaient refusé d’effectuer du service militaire au nom de leurs convictions religieuses1>arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 17 octobre 2019 dans l’affaire Mushfig Faig oglu Mammadov et autres c. Azerbaïdjan (5ème section).

Les cinq requérants, nés entre 1983 et 1994, se déclarent témoins de Jehovah. Appelés sous les drapeaux pour accomplir leur service militaires ils firent savoir aux commissariats militaires ou bureaux de recrutement dont ils relevaient qu’ils souhaitaient en être dispensés et effectuer un service civil de remplacement. Tous furent condamnés sur la base d’un article du Code pénal azéri à des peines oscillant entre six mois et un an de prison. Tous leurs recours furent rejetés.

La Cour rappelle que les libertés de pensée, de conscience et de religion, telle que les protège l’article 9 de la Convention, représente l’une des assises d’une «société démocratique». Cette liberté figure, dans sa dimension religieuse, parmi les éléments les plus essentiels de l’identité des croyants et de leur conception de la vie, mais elle est aussi un bien précieux pour les athées, les agnostiques, les sceptiques ou les indifférents. Il y a va du pluralisme – chèrement conquis au cours des siècles – consubstantiel à pareille société. Cette liberté suppose, entre autres, celle d’adhérer ou non à une religion et celle de la pratiquer ou non. Si la liberté de religion relève d’abord du for intérieur, elle implique également celle de manifester sa religion individuellement en privé, ou de manière collective en public et dans le cercle de ceux dont on partage la foi. L’article 9 de la Convention énumère les diverses formes que peut prendre la manifestation d’une religion ou d’une conviction, à savoir le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.

La Cour souligne qu’en matière d’objection de conscience au service militaire obligatoire, elle avait déjà eu l’occasion de conclure qu’il pesait sur les autorités une obligation positive d’offrir à une personne revendiquant le statut d’objecteur de conscience une procédure effective et accessible qui lui permette de faire établir si elle avait ou non le droit de bénéficier de ce statut, aux fins de la préservation de ses intérêts protégés par l’article 9 de la Convention. Un système qui ne prévoit aucun service de remplacement et aucune procédure accessible et effective au travers de laquelle une personne aurait pu faire établir si elle pouvait ou non bénéficier du droit à l’objection de conscience ne peut passer pour avoir ménagé un juste équilibre entre l’intérêt de la société dans son ensemble et celui des objecteurs de conscience. En outre, le droit à l’objection de conscience garanti par l’article 9 de la Convention serait illusoire si un Etat était autorisé à organiser et à mettre en œuvre son système de service de remplacement d’une manière qui n’offrirait pas, que ce soit en droit ou en pratique, une solution de substitution au service militaire qui présente un caractère véritablement civil et qui ne soit ni dissuasive ni punitive2>cf. en autres arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 7 juillet 2011 dans l’affaire Vahan Bayatyan c. Arménie (Grande Chambre), arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 12 juin 2012 dans l’affaire Halil Savda c. Turquie (2ème section), arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 12 octobre 2017 dans l’affaire Artur Adyan et autres c. Arménie (1ère section).

Dans le cas particulier, la Cour a constaté qu’aucune loi sur le service de remplacement n’avait été adoptée par l’Azerbaïdjan, alors même qu’au moment de son adhésion au Conseil de l’Europe, cet Etat avait pris l’engagement d’en adopter une conforme aux normes européennes dans les deux ans suivant son adhésion et que sa Constitution prévoit la possibilité pour les personnes dont la conviction est contraire à l’exécution du service militaire d’effectuer un service de remplacement. La Cour constate également que la législation azérie ne prévoit un tel service qu’aux membres du clergé remplissant une charge ecclésiastique et aux élèves des établissements religieux. Un tel système restrictif rend en tous les cas illusoire le droit à l’objection de conscience, garanti par l’article 9 de la Convention, en le vidant d’une grande partie de sa substance.

En Suisse, il a fallu attendre 1996 pour que soit instauré un service civil de remplacement au service militaire obligatoire. Auparavant, les objecteurs étaient condamnés à des peines de prison; ils ont été plus de 12 000 entre 1968 et 1996. Le 25 septembre dernier, le Conseil national, dans sa composition d’avant les élections, a refusé une initiative parlementaire de Lisa Mazzone proposant de les réhabiliter3>Initiative parlementaire 18.462 Lisa Mazzone du 28 septembre 2018 «réhabilitation des objecteurs de conscience». De même, le 11 septembre dernier, le Conseil des Etats a voté une modification de la loi sur le service civil rendant plus difficile l’accès au service de remplacement pour certaines catégories d’appelés4>Cf. message du Conseil fédéral portant révision de la loi sur le service civil FF 2019 pp. 2429 ss, objet n° 19.020, motivée uniquement par les craintes sur la diminution des effectifs de l’armée. L’avenir dira si le Conseil national, dans sa nouvelle composition, suivra cette direction qui pourrait être problématique au regard du droit à l’objection de conscience garanti par la Convention.

 

 

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