Chroniques

Retour sur la Guerre du gaz

L'histoire en mouvement

Le 17 octobre 2003, à la suite de plusieurs semaines de mobilisations, le peuple bolivien fait chuter le président Gonzalo Sanchez de Lozada. Ces événements ouvrent la voie à un changement radical dans l’histoire de la Bolivie, mettant quelques années plus tard un terme à près de vingt ans de règne néolibéral. Alors que les élections générales boliviennes ont lieu ce week-end, un détour par l’histoire récente du pays représente un bon remède contre l’oubli, si profitable à certains.

A vrai dire, lorsque débutent les mobilisations de 2003, la Bolivie est déjà un volcan au bord de l’éruption. En janvier et février de cette même année, un soulèvement populaire contre l’instauration d’un nouvel impôt a fait une vingtaine de morts à La Paz, notamment à la suite d’affrontements entre policiers mutinés et militaires. Trois ans plus tôt, de janvier à avril 2000, c’est la ville de Cochabamba qui s’était soulevée contre un projet de privatisation du réseau hydraulique au cours de la désormais célèbre Guerra del agua.

A ces mobilisations populaires s’ajoutent d’autres conflits sociaux – dont celui qui oppose le gouvernement aux cultivateurs de feuilles de coca, les cocaleros – et une situation économique désastreuse. Le tournant néolibéral pris par la Bolivie en 1985, exacerbé au cours des années 1990 à travers la privatisation de la plupart des secteurs de l’économie nationale, rencontre donc ses limites en ce début de troisième millénaire.

Sur le plan politique, le gouvernement en place à l’automne 2003 ne peut plus compter sur un grand soutien populaire: au delà des événements du début d’année qui ont fragilisé sa position, le président Gonzalo Sanchez de Lozada ne doit sa victoire aux élections de l’année précédente qu’à un accord de dernière minute entre partis de droite. Dans ce contexte tendu, la réactivation par ce même gouvernement d’un plan de sortie du gaz bolivien vers le Chili en vue de sa vente aux Etats-Unis attise la colère populaire. Dès le mois de septembre, plusieurs secteurs de la société bolivienne se mettent en branle partout dans le pays pour réclamer la renégociation de ces contrats et la souveraineté de la Bolivie sur ses ressources naturelles.

Les premiers incidents ont lieu le 24 septembre à proximité de la localité andine de Sorata, lorsque six personnes sont tuées par l’armée aux abords d’un barrage. S’ensuivent d’autres épisodes sanglants au cours desquels les manifestants paient un lourd tribut, en particulier dans les campagnes et dans la ville de El Alto, banlieue pauvre de La Paz. Les habitants de El Alto bloquent dès le début du mois d’octobre les voies de ravitaillement vers la capitale. Dans les jours qui suivent, l’armée tire à la mitraillette sur les manifestants afin de permettre le passage des convois, faisant des dizaines de victimes.

Si la question du gaz occupait une place centrale dans les revendications, les exactions commises par l’armée et l’intransigeance du président amènent désormais les manifestants à réclamer la tête de ce dernier. Alors que les Etats-Unis lui réitèrent leur soutien, Sanchez de Lozada exclut tout départ et s’évertue à dénoncer un complot international fomenté depuis le Venezuela en vue de déstabiliser la démocratie bolivienne. Dans l’après-midi du 17 octobre, sous la pression de la rue, il fuit finalement le palais présidentiel et se réfugie aux Etats-Unis, où il continue d’échapper à la justice bolivienne malgré les charges qui pèsent contre lui.

Au final, les événements d’octobre 2003 – désormais connus sous le nom d’octubre negro – laissent plus de 80 morts, des centaines de blessés et un pays en ébullition. Le vice-président Carlos Mesa est intronisé à la tête du gouvernement et met provisoirement un terme aux mobilisations en annonçant la tenue d’un référendum sur le gaz et en ordonnant le retrait des forces armées. Mais le peuple bolivien ne se satisfait plus des demi-mesures et manifeste en masse dès les mois suivants pour réclamer la nationalisation des hydrocarbures. Mesa se voit forcé de démissionner en juin 2005 et des élections générales anticipées sont convoquées pour la fin de l’année. Elles voient triompher Evo Morales dès le premier tour avec plus de 53% des suffrages. Près de quinze ans plus tard, les deux hommes sont en tête des sondages pour la prochaine investiture et risquent bien de s’affronter au cours d’un très probable second tour. Il va sans dire que les événements d’octobre 2003 planent encore sur la vie politique bolivienne.

L’association L’Atelier-Histoire en mouvement, à Genève, contribue à faire vivre et à diffuser la mémoire des luttes pour l’émancipation des peuples opprimés, des femmes et de la classe ouvrière, info@atelier-hem.org

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