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Libre échange

(Re)penser l'économie

L’actualité politico-économique de ces derniers mois est centrée autour de Donald Trump qui a rétabli des droits de douane sur certaines importations, plus particulièrement en provenance de Chine. Certains commentateurs ont conclu, un peu vite, que le libre échange était passé de mode. Deux événements récents montrent au contraire que les processus de libéralisation des échanges se poursuivent. Rappelons tout d’abord que le cadre dans lequel s’est amorcée cette libéralisation est celui de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Depuis plusieurs années, les négociations universelles de ce type font du surplace car les processus de décision de l’OMC permettent à un ou plusieurs pays de bloquer une décision. Les grandes puissances économiques, et surtout les transnationales intéressées à l’élargissement des marchés, ont donc choisi la voie bilatérale ou multilatérale, mais non universelle, pour faire avancer la libéralisation des échanges.

Le CETA, accord passé entre l’Union européenne et le Canada, est en cours de ratification dans plusieurs pays de l’UE. Notons que cet accord a été signé en 2016 et que, avant même sa ratification, plusieurs de ses dispositions sont entrées en vigueur dès 2017! Outre la suppression des droits de douane, l’accord prévoit également la levée des barrières commerciales non tarifaires, constituées par exemple par des normes sanitaires (OGM, utilisation d’antibiotiques pour l’élevage etc.). Enfin il accorde des protections supplémentaires en matière d’investissements et de brevets. Ce dernier point est fondamental car il introduit la possibilité pour une entreprise de poursuivre des Etats en vue d’obtenir des indemnisations lors de modifications législatives qui portent atteinte aux bénéfices attendus d’un investissement. Par exemple, le vote d’une loi introduisant une meilleure protection sociale ou encore de nouvelles normes sanitaires ou environnementales. De plus, ces procédures se dérouleront devant des tribunaux arbitraux, ce qui instaure une privatisation de la justice.

Il ne fait aucun doute que l’entrée en force de ce traité servira de modèle à l’Union européenne pour négocier de nouveaux accords de libre échange.

Le second événement récent est l’aboutissement d’un accord de libre échange sur le continent africain. Nommé «Zone de libre-échange continentale africaine» (Zlec), cet accord qui devrait entrer en vigueur en 2020 constituerait, selon ses promoteurs, le plus grand espace commercial au monde avec la participation de 54 des 55 Etats africains. Il est présenté comme un moyen permettant d’assurer la paix et la prospérité… mais pour qui?

Dans la réalité, la Zlec va essentiellement servir à supprimer 90% des droits de douane, sur une période de 10 à 15 ans. Cette suppression devrait stimuler le commerce entre pays africains. Cette mesure va surtout permettre à nombre de transnationales de créer des filiales en Afrique (lorsque cela n’est pas déjà le cas) et d’inonder le marché de produits exempts de droits de douane, qu’il s’agisse de produits agricoles, industriels ou des services. D’une part, la Zlec creusera les inégalités entre pays africains dont les niveaux de développement sont très inégaux. D’autre part, sachant qu’une part importante des Africains survit grâce à l’agriculture et que l’industrie naissante, à quelques exceptions près, est fragile, on imagine sans peine les dégâts économiques et sociaux que cela va provoquer.

Par ailleurs, la suppression des taxes à l’importation engendrera inévitablement des déséquilibres dans les finances publiques des Etats africains qui ont déjà de la difficulté à assurer des services de base en matière d’infrastructures, d’éducation et de santé.

Il convient de rappeler que les pays pauvres qui sont parvenus à se développer ont pu atteindre ce résultat grâce à l’instauration de barrières douanières qui protégeaient leurs activités économiques naissantes. Prendre le chemin inverse c’est sans doute se conformer aux principes néolibéraux, mais certainement pas aux aspirations des populations africaines à vivre décemment.

L’auteur est membre de SolidaritéS, ancien député.

Opinions Chroniques Bernard Clerc

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lundi 8 janvier 2018

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