Chroniques

«Tout est bien qui finit bien»

À l'école au Zanskar

Voici juillet et ma dernière chronique avant retrouvailles, randonnée avec famille et amis et retour en Suisse. Laissons la parole aux premiers concernés par «l’école au Zanskar», c’est-à-dire les élèves de la Marpaling Lamdon Model School de Stongday. Les classes de 6, 7 et 8e années (11 à 13 ans) ont été invitées à décrire – en anglais – leurs activités préférées à l’école et en dehors. Ensuite, ces 67 jeunes gens ont exposé leurs projets pour la période qui suivra leur scolarité à la MLMS et leurs rêves pour le futur. Enfin, ils ont expliqué où ils passeraient leur vie adulte et s’ils étaient optimistes quant à leur avenir. Petit tour d’horizon – en français.

«Mon activité préférée à l’école, c’est le cricket.» Les élèves mentionnent parfois la danse, la musique, l’écriture, l’assemblée du matin ou les amis, mais jamais une discipline spécifique. La majorité, un bon tiers, cite donc le sport, mais à quasi-égalité avec la lecture: «Moi, ce que j’aime faire à l’école, c’est lire des histoires et en discuter.» Hors des murs scolaires, sports et jeux prennent nettement le dessus, cités dans plus de la moitié des réponses. Un tiers mentionne cependant comme activité extrascolaire favorite le fait d’aider leurs parents et voisins aux champs ou à la maison et de prendre soin des personnes âgées. Lire, regarder la TV, socialiser et faire de la musique sont aussi mentionnés et, plus rarement, faire la lessive, dormir, étudier ou partir à l’aventure, «mais c’est difficile et parfois dangereux car on peut se blesser, par exemple se casser un genou».

En Inde, le premier terme de la scolarité est la 8e année, qui correspond à la fin du parcours offert à la MLMS. Pour accéder à des emplois ou des formations spécifiques, deux, voire quatre années supplémentaires sont nécessaires. «Après avoir terminé à la Marpaling School, j’aimerais encore faire beaucoup d’années d’école et je pourrai devenir quelque chose dans la vie.» Presque tous des élèves (90%) en font le projet. Dans un établissement du Zanskar ou, pour la plupart, à la Lamdon Model School de Leh, affiliée à la MLMS jusqu’en 2016. Le partenariat n’a pas été reconduit pour des questions réglementaires et financières (deux années supplémentaires y coûtent environ 2000 francs tout compris).

Les quelques autres veulent travailler aux champs, devenir hockeyeur, pique-niquer en famille (!) ou, pour ce seul adepte du farniente: «Go slowly» (y aller tranquillement).

«Mon rêve pour le futur, c’est de devenir docteur, aider les personnes malades et leur donner des médicaments.» Une carrière médicale est visée par un tiers des élèves, légèrement devant la carrière militaire et l’enseignement. Cela reflète la réalité contrastée du Zanskar, où les infrastructures médicales sont limitées. Quant à l’armée, elle est un des premiers employeurs d’Inde, et les tensions au Cachemire ont renforcé cette vocation: «Je veux servir mon pays, tuer mon ennemi et protéger ma famille.» Devenir prof est une perspective de stabilité, même si le choix entre privé (de meilleure qualité) et public (mieux rétribué) restera à faire. Sinon, les futurs chanteurs sont plus nombreux que les prêtres ou les ingénieurs. Une horticultrice a déjà trouvé sa voie: «J’ai un seul but dans la vie: tout savoir sur les fruits et les légumes et lire beaucoup de livres sur les plantes.»

Enfin, la quasi-totalité des élèves de la MLMS sont optimistes car «ma famille m’encourage que tu peux le faire», «je me respecte», «je travaille dur pour mon but». De même, ils sont fermement décidés à vivre au Zanskar (80%), «car c’est mon lieu de naissance et il y a de l’air pur et de l’eau claire à boire», et «le Zanskar est beau!» Il est notable que les rares pessimistes le sont en raison de la pauvreté de leur famille, ce qui les empêche de poursuivre leur scolarité, problème non seulement régional mais national.

Ce sont donc des jeunes personnes pleines d’entrain que je quitterai mi-juillet. Evidemment, leur inquiétude concernant la poursuite de leur scolarité est symptomatique d’un manque d’insouciance préoccupant quant à des enfants dont certains ont à peine onze ans. Cependant, leur bonheur d’habiter dans un environnement intact permet d’être optimistes: leur profonde communion avec la nature devrait tempérer tout excès d’utilitarisme. C’est ce que je leur souhaite!

Maître d’anglais en voyage au Zanskar en collaboration avec l’ONG ARZ (Association Rigzen Zanskar) www.rigzen-zanskar.org
Cette chronique clôt la série «A l’école au Zanskar».

Opinions Chroniques Yvan Cruchaud

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