Chroniques

«Notre plus grave maladie, c’est la pauvreté!»

À votre santé!

C’était le slogan inscrit sur le T-shirt d’un promoteur d’une communauté rurale du Chiapas au Mexique, réunie comme une dizaine d’autres communautés locales pour partager une formation sur la permaculture organisée par l’ONG Madre Tierra Mexico, soutenue par la Fédération genevoise de coopération (FGC), et à laquelle j’ai participé. Ces promoteurs, choisis par des organisations sociales locales qui ont souvent aidé les paysans à obtenir les terres qu’ils cultivent et à les défendre face à un Etat déficient et à des propriétaires terriens revanchards, sont ensuite chargés de multiplier les connaissances acquises dans leurs villages respectifs. C’est pour eux/elles une manière de poursuivre une formation qui d’ordinaire ne dépasse pas l’école primaire et d’acquérir ainsi une fonction reconnue dans leur communauté.

Tout est fait, dans la formation, pour que chacun se saisisse non seulement des techniques à reproduire mais aussi d’une conscience sociale et d’une confiance en soi. Pas de cours ex cathedra, mais des échanges à partir de leur réalité, et la construction d’un savoir commun. On parle du droit de la «Terre-Mère», du danger des produits phytosanitaires, mais aussi du droit à la terre pour celui qui la travaille, de santé, de bien-être et de l’importance de se regrouper pour défendre ces droits humains… C’est donc une formation holistique qui cherche à donner à ces jeunes des outils pour aider leurs communautés (toutes formées de peuples indigènes) à sortir de la pauvreté. On parle aussi, bien sûr, des difficultés qu’ils rencontrent dans leurs potagers communautaires, leurs petites piscicultures, leurs cultures de champignons ou leurs poulaillers qui font partie du programme de permaculture dans le degré d’acceptation de ces changements par les habitants
de chaque village et l’on cherche des solutions entre tous les ­participants.

C’est un petit pas qui devrait permettre de diversifier un peu une alimentation souvent très carencée (rappelons que le Chiapas – notamment ses zones rurales – est l’Etat le plus pauvre du Mexique, avec une mortalité infantile qui dépasse encore 20%). Cela va de pair avec une amélioration de l’utilisation de l’eau et avec la promotion de construction de latrines sèches (le manque d’eau est chronique dans cette zone). Mais rien n’est possible sans la participation active de la communauté, qui reste responsable de son développement.

On essaie par ce biais de préserver la santé. Il faut dire que le système de santé de l’Etat ne parvient pas jusque-là, ce qui est pour le moins préoccupant au XXIe siècle: quand on tombe malade, on s’en remet donc encore souvent à Dieu, par dépit plus que par conviction religieuse!

Ces paysans, malgré leur pauvreté, sont encore bien lotis par rapport à ceux que j’ai rencontrés dans une zone rurale proche de Tuxtla Gutiérrez, la capitale du Chiapas. Là, quelque 70 familles se sont installées il y a six ans sur une terre dite nationale (sans propriétaire connu), avec le soutien d’une association paysanne le «Movimiento campesino regional independiente» (MOCRI-CNPA-EZ), équivalent du Mouvement des sans-terre (MST) au Brésil. Chaque famille a un petit espace de 200 m2 pour sa maison et 3 hectares pour cultiver de quoi survivre (essentiellement maïs et haricots rouges). Ils ont réussi à construire une petite école et n’aspirent qu’à vivre tranquillement, sans grandes revendications, alors qu’ils n’ont pas accès aux soins gratuits et que même les programmes dits verticaux du ministère ne leur sont pas destinés: aucun enfant n’est vacciné et il y n’a aucun contrôle de grossesse ou de la croissance des enfants!

Or, depuis deux mois, le gouverneur du Chiapas, pourtant du même parti que le président Obrador – qui avait affirmé dans sa campagne électorale en 2018 que les pauvres étaient sa priorité –, tend à criminaliser le MOCRI-CNPA-EZ et ses adhérents. Il a déjà expulsé de leurs terrains plus de 2000 familles et détruit onze écoles, laissant ces gens sans logement et leurs enfants déscolarisés. Depuis, un hélicoptère de la police qui survole très régulièrement les terrains de la communauté à dix mètres du sol entretient la peur.

Quel espoir leur reste-t-il, dans leur dénuement total? Quel mal font-ils? Comment cela est-il possible dans un Mexique qui regorge de richesses?

Et pourtant ces paysans luttent. Ils n’abandonneront pas leurs terres sans résistance, car c’est tout ce qu’ils ont.

L’auteur est pédiatre FMH et membre du comité E-Changer, ONG suisse romande de coopération.

Opinions Chroniques Bernard Borel

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lundi 8 janvier 2018

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