Chroniques

Enfin au Zanskar, enfin à l’école!

À l'école au Zanskar

Rien de ce qui n’est écrit n’a vraiment eu lieu. En quelques instantanés, randonnons donc jusqu’au Zanskar, encore à moitié figé dans sa torpeur hiverna-le, et découvrons la vallée et l’école Marpa Ling de Stongday!

Pieds mouillés dans l’eau glacée

Padma, le guide, me l’a déjà dit le premier jour: «You’re strong». Fluet comme je suis, j’ai pensé qu’il plaisantait. Mais le lendemain soir, après avoir enduré douze heures de marche sans sourciller – comme les deux jours suivants –, j’accepte le compliment. Padma, Passang, Lobzang, Tsiring, Tsepal, Nawaet moi cheminons à travers un terrain strié de cours d’eau, accidenté et sans véritable chemin. Padma m’explique que nos progressons au rythme des locaux. Si je tiens le coup, je me ferai tatouer «Fast as a local» sur les mollets! La randonnée de Leh à Zangla consiste en eu une montée inexorable de 3200 à 5000 m en suivant trois différents cours d’eau. Surtout, il s’agit de les traverser sans cesse en fonction de l’étroitesse des gorges, des éboulis d’avalanche, des lacs de fonte de neige et de glace, ou de la menace des rochers surplombant nos têtes de fourmis dans ce paysage montagneux aux proportions gigantesques. Le soir, nous nous arrêtons dans un endroit aussi peu exposé que possible, et les habitudes nomadiques ancestrales de mes compagnons font merveille. En quelques minutes, du bois sec est trouvé, le feu est fait, l’eau de la rivière bouillie et le thé salé servi pendant que les légumes sont préparés en soupe et la farine emportée pétrie en pâte sans sel et jetée dans la soupe pour se transformer bientôt en une délicieuse et nourrissante tupa servie brûlante. La nuit est passée à la belle étoile, dans le sens le plus littéral: une voûte scintillante s’étend d’une extrémité à l’autre du ciel délimité par la silhouette noire des sommets. Après quatre jours nous gravissons enfin les dernières pentes du col de Charchar, d’où nous surplombons le Zanskar tant attendu! Il fait soleil et les montagnes s’étendent, sublimes, à perte de vue. Nous entamons la descente d’un interminable vallon orienté au sud, tour à tour enneigé, pierreux, boueux, détrempé, buissonneux ou craquelé. Nous passons une dernière nuit dans le luxe d’un abri de pierre et faisons la grasse matinée jusqu’à 6h avant de petit-déjeuner longuement et partir au lever du soleil. Après avoir admiré sur un éperon rocheux les ruines de l’ancien palais royal, véritable nid d’aigle à l’abri des invasions mongoles, nous par-venons le lendemain à midi au village de Zangla. Après moult discussions avec des habitants du village, nous nous entassons à douze dans une jeep qui se dirige vers le chef-lieu, Padum, en égrainant à chaque village son lot de voyageurs. Je débarque à Stongday vers 14h, épuisé mais heureux d’être enfin à bon port. Cette arrivée annonce évidemment une nouvelle étape, mais j’y songerai après un bon seau d’eau chaude, un shampooing et des habits secs.

Assemblée du matin: prière bouddhiste et serment à la nation

Tous mes sens en éveil, je vis intensément mes premiers jours d’école après un accueil officiel du principal, Sir Sonam, devant 250 élèves de 6 à 16 ans alignés-couverts dans la cour caillouteuse de l’école pour le morning assembly. On me donne la parole. J’essaie de maîtriser mon émotion et d’être concis. Je pose sept mots pour jalonner mon petit discours: «happy» (d’être enfin parmi vous), «sorry» (d’être en retard), «teach» (ce que je viens faire), «learn» (idem), «patience» (de part et d’autre), «contentment»(d’avoir fait de son mieux) et «mind» (à cultiver sans fin). Les élèves sont en uniforme bordeaux mais depuis quelques années, l’uniforme à l’anglaise a été remplacé pour les mois froids par les gonchas, longues tuniques de laine, assorties de bonnets beiges ou verts, ou du chapeau typique jaune safran que les filles décorent d’une fleur orange de chaque côté. Difficile de ne pas s’attendrir devant un petit chou au visage hâlé qui vous salue d’un «good morning, Sir» institutionnel accompagné d’un sourire timide mais sincère. Les premiers contacts avec la douzaine de mes collègues sont aimables mais malaisés. Outre le fait que la moitié sont très empruntés pour s’exprimer en anglais, ils sont déjà affairés à passer d’une classe à l’autre durant la journée. Après les cours, les mercenaires disparaissent dans leur chambre du staff quarteret, les enseignants autochtones regagnent leur village et leur famille. Le lundi, mes propositions d’assistanat à la carte rencontrent une approbation polie. Il faut plusieurs jours pour briser la glace et s’entretenir avec une demi-douzaine de collègues. Certains demandent simplement des heures de conversation en anglais, d’autres des visites de cours et du soutien pédagogique, mais tous ceux qui viennent me voir sont plein d’entrain et semblent heureux d’avoir à disposition un collègue bienveillant et disponible. Enfin, j’enseigne en tandem avec Tundup, le jeune collègue d’anglais, qui est enthousiaste. Les jours passants, je suis de mieux en mieux intégré. Dernier exemple en date, je fonctionne comme jury dans le inter-house contest à la Harry Potter en reading et story-telling, du moins pour la partie anglaise: le hindi, le urdu et le bothi me sont – encore? – parfaitement exotiques!

Tir à l’arc, poussière, œufs et abricots secs

Et le Zanskar dans tout cela? Le désert caillouteux d’altitude promis est au rendez-vous. Les températures sont contrastées: il gèle la nuit, mais au soleil de midi on a presque déjà chaud. L’hiver touche à sa fin, mais comme aucun accès routier n’est encore possible, les réserves faites avant l’hiver sont souvent épuisées. Il est impossible de mettre la main sur des œufs, des fruits, des légumes, ou même de la purée de tomate. Par contre, des noix, des amandes et des abricots séchés entiers sont encore disponibles. Trempez ces derniers dans une tasse d’eau chaude quelques heures et, en se ramollissant, ils donnent un dessert savoureux. De plus, en brisant le noyau entre deux pierres, vous obtenez une amande dont je me régale tous les jours après avoir mâchouillé le noyau pendant plusieurs minutes pour ne pas perdre la moindre fibre du fruit. Dans les villages, la vie sociale reprend ses droits, et les journées sont animées par les traditionnels tournois de tir à l’arc. La grande finale a lieu au chef-lieu, Padum. Les hommes viennent de partout tenter leur chance,vêtus de leurs long manteau et chapeau sans visière traditionnels, certains botté de peaux. La musique résonne sans interruption, jouée par les musiciens du cru. Les hurlements de joie des proches du tireur ayant touché le centre de la cible tout comme les conversation sérieuses ou hilares relatant les nouvelles rapportées de vive voix laissent encore entrevoir un mode de vie inchangé depuis des siècles. Les 4×4, les casquettes de marque et les téléphones portables n’ont pas encore eu raison de cette socialisation joyeuse à la sortie d’un hiver long et rigoureux.

Pain, lait caillé et thé salé au monastère

Le monastère de Stongday se trouve sur les hauteurs en face de l’école. Un chemin gravit en un long «Z» la pente pierreuse au sommet de laquelle il est perché. On atteint son promontoire en une petite heure de marche qui est récompensée par une vue panoramique sur la vallée et la rivière. En s’approchant des bâtiments principaux par un labyrinthe d’escaliers et d’enfilades, on arrive à la hauteur d’un toit plat de quelques mètres carrés où trône une vieille chaise en bois. Assis là se trouve le lama Lotus, qui contemple la vallée depuis vingt-cinq ans. Après quelques questions, il vous invite à boire le thé et vous introduit dans une pièce vitrée autour de laquelle d’autres lamas sont assis en tailleur sur de petits matelas devant lesquels sont alignées d’étroites tables basses qui servent d’écritoire, de lutrin et de tablette à manger. J’y entre à la fin du jour et me rends compte qu’ils s’apprêtent à manger. Avant de pouvoir exprimer ma gêne de les déranger à l’heure du repas, on me sert une miche de pain, un bol de lait caillé et un thé salé. Me voici, l’espace de quelques instants, moinillon intimidé et émerveillé, à partager l’ordinaire de ces mythiques mystiques. Certains me dévisagent et les autres devisent nonchalamment comme si j’avais toujours – ou jamais – été présent. Ravi et un peu ému, je prends finalement congé avant de redescendre le chemin qui me ramène sur terre et au village. Sur sa place, sorte de terrain en terre battue longé d’un mur, on tire encore à l’arc. Ce n’est qu’à la nuit tombée que je passe le portail de l’école après avoir manqué la cible, presque perdu les deux flèches qu’un villageois me prête avec son arc et bu deux bols de tchang qui me font un peu tourner la tête, mais heureusement pas l’estomac!

L’auteur est maître d’anglais en voyage au Zanskar en collaboration avec l’ONG ARZ, www.rigzen-zanskar.org

Retrouvez «A l’école au Zanskar» jeudi 9 mai.

Opinions Chroniques Yvan Cruchaud

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