Chroniques

En phase d’acclimatation

À l'école au Zanskar

Le plus beau single track de VTT du monde se trouve au Val d’Hérens, entre le lac d’Arbey et les Farquèses. Un jour de juillet 2016 que j’y pédalais joyeusement, mon attention fut attirée par un homme perché sur une échelle appuyée contre un mélèze. Il était en train d’y suspendre une immense toile, sur laquelle figurait une magnifique photographie de montagne. Mû par un mélange d’altruisme (peut-être a-t-il besoin d’un coup de main?) et de curiosité (pourquoi accroche-t-il des photos de montagne à la montagne?), je mis pied à terre et engageai la conversation… Voilà comment je fis la connaissance de l’Association Rigzen Zanskar (ARZ), dont le photographe Alain Perret installait l’exposition «Itinérance», galerie de photos nomade qui se balade depuis plusieurs années à travers la Suisse romande pour faire connaître cette ONG suisse. Je revins pour le vernissage et admirai ces vues de montagnes étrangement familières mais si différentes des «nôtres»: elles montraient les vallées, les cols, les sommets, les monastères, les plateaux, les champs, les sentiers, les moines, les montagnards, enfants comme vieillards, et les yaks de la vallée himalayenne du Zanskar. Une photo en particulier attira mon attention; elle montrait un groupe de joyeux écoliers en uniforme bordeaux et gris à casquette bleu ciel devant un bâtiment jaune
safran.

Cette école, c’est la Marpaling Lamdon Model School (MLMS) du petit village de Stongday, situé tout au nord de l’Inde. Elle accueillera le 1er mars sa dix-neuvième volée, soit 250 enfants de 6 à 16 ans répartis dans dix classes correspondant à dix degrés et conformes aux exigences du Central Board of Secondary Education, instance gouvernementale qui chapeaute plus de 20 000 écoles en Inde. L’école est née d’une amitié et de la détermination d’une poignée de personnes décidées à permettre aux enfants défavorisés de cette région isolée d’accéder à une scolarisation alors souvent impossible. Le Zanskarpa Rigzen Samphel (qui donne son prénom à l’association) et le Jurassien Pascal Beuret, qui se sont rencontrés au début des années nonante, décident en 1998 que c’est le meilleur moyen de soutenir les habitants de cette contrée reculée. Ils réunissent des fonds et, grâce à leur enthousiasme contagieux, fédèrent les volontés qui feront sortir d’un désert caillouteux d’altitude un bâtiment scolaire en forme de mandala, un guest-house pour les visiteurs et des staff quarters pour y loger les enseignants.

Et moi dans tout ça? Et bien à l’heure où vous lisez ces lignes, je suis sur le chemin de la Marpaling School. Depuis la Suisse, où j’enseigne d’ordinaire l’anglais dans un gymnase lausannois, l’itinéraire est tortueux: cela fait deux ans et demi que je le parcours. J’ai commencé par apprendre que l’ARZ et la MLMS étaient intéressées à engager un professeur d’anglais expérimenté pour travailler avec les élèves et les enseignants locaux. J’ai ensuite rédigé un projet de congé sabbatique qui a été accepté par le Département de la formation et de la jeunesse du canton de Vaud. Je me suis préparé au mieux en rencontrant Rigzen et Pascal, en écoutant les récits des baroudeuses-eurs de l’ARZ, en m’inspirant d’une kyrielle de professionnel-le-s de la pédagogie réflexive, de l’écriture du voyage, de la photographie de portrait, de l’ingénierie durable, du voyage en Inde ou de la médecine d’altitude. J’ai fini par obtenir un visa de travail du Consulat général d’Inde à Genève. J’ai fait une sélection d’habits chauds, des injections de vaccins, des listes sans fin de tâches urgentes à accomplir avant mon départ. Enfin, le 12 février, j’ai pris le vol Swiss 146 de Zurich à Delhi et puis, le 13 au petit matin, le vol Air India 445 pour Leh. J’y passe actuellement dix jours pour m’acclimater à ses 3500 mètres d’altitude et à sa température de -20°C, et m’accoutumer à la vie des habitants du Ladakh, grande région de hauts plateaux voisine du Zanskar. J’y rencontrerai sous peu une partie de mes futur-e-s collègues, qui s’y retrouvent chaque année pour rejoindre l’école de Stongday par le seul accès «terrestre» possible en cette saison: un fleuve gelé, le Chadar. Dans une dizaine de jours, j’espère être prêt pour ce premier trek sur sa glace et dans ses grottes, au bout duquel nous atteindrons cette école extraordinaire. Je vous le raconterai dans une prochaine chronique!

*Maître d’anglais en voyage au Zanskar en collaboration avec l’ONG ARZ (Association Rigzen Zanskar), www.rigzen-zanskar.org
Retrouvez «A l’école au Zanskar» jeudi 28 février.

Opinions Chroniques Yvan Cruchaud

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