Agora

Démocratie et transparence

Des «arguments-paravents»! Hugues Poltier réagit au rejet de l’initiative sur la transparence du financement des partis politiques en Suisse par le Conseil fédéral.
Financement des partis

Le rejet par le Conseil fédéral de l’initiative sur la transparence du financement des partis politiques en Suisse ne surprend pas. C’est bien l’inverse qui eût été un coup de tonnerre: on n’imagine pas notre droite nationale, indéboulonnablement majoritaire au Conseil fédéral, chantre de l’économie de libre marché, soutenir une initiative dont l’objet est de réduire la liberté du «marché» des opinions politiques. Que sa présentation à l’opinion incombe à un de ses membres socialistes procède de la règle collégiale et est en son fond indifférent – si douloureux cela puisse-t-il être pour ses militant-e-s d’entendre une des siennes parler la novlangue néolibérale.

Surprend, en revanche, la faiblesse, sinon la nullité de l’argumentaire: cette transparence serait incompatible avec le fédéralisme helvétique. Cette impossibilité est illustrée par le cas de l’élection au Conseil des Etats: élection à portée fédérale, elle est cependant l’affaire des cantons; une régulation fédérale, est-il laissé entendre, constituerait une violation de la souveraineté des cantons.

On se pince! Car, enfin, nul besoin d’être juriste pour connaître le principe du primat du droit fédéral lorsque, fondé sur un article de la constitution dûment adopté, il existe. L’initiative demande précisément cela: qu’il y ait un droit fédéral sur ces questions et qu’il s’impose au droit cantonal. A suivre pareil argument, il y aurait encore des cantons qui ne connaîtraient pas le suffrage universel, l’égalité hommes-femmes et j’en passe.

Le Conseil fédéral met encore en avant cette autre facette du Sonderfall helvétique: les institutions de la démocratie semi-directe suscitent la création d’acteurs politiques temporaires hors partis – et contrôler la provenance de leur financement induirait bureaucratie et coûts excessifs. Ici encore, difficile de prendre au sérieux cet argument: les acteurs de poids dans une campagne ne sont pas si nombreux; contrôler l’origine de leur financement ne saurait être une tâche herculéenne.

Conclusion: ce sont là des arguments-paravents. Que dissimulent-ils, sinon ceci: la crainte, exprimée par la ministre dans sa présentation à la presse1>www.bote.ch/nachrichten/schweiz/bundesrat-gegen-transparenz-initiative;art46447,1120431 (mais pas dans le résumé de l’exposé des motifs2>www.admin.ch/gov/fr/accueil/documentation/communiques.msg-id-69662.html figurant sur la page de la Confédération) d’une diminution des contributions aux partis et groupes d’influence. Voilà donc l’angoisse: le volume d’argent en circulation dans la sphère politique pourrait bien être drastiquement réduit. La politique en Suisse redeviendrait une affaire à petit budget et les gros acteurs économiques du pays ne pourraient plus l’arroser.

Question: qui a à craindre un tel scénario? Certainement pas les partis de gauche, écologistes et encore moins ceux d’«extrême-gauche»: ils n’ont guère de donateurs dont les possibilités financières leur permettraient de dépasser le seuil prescrit. Les seuls dont la trésorerie devrait être revue à la baisse sont les partis bourgeois et comités de même obédience: ils ne jouiraient plus de la «liberté» de lancer leurs ressources d’influence selon leur bon plaisir.

Que retenir alors de cette prise de position du Conseil fédéral? sinon ceci: qu’en dépit de leurs déclarations répétées que ce n’est pas l’argent qui fait le vote, ces groupements croient bel et bien que la puissance déployée dans une campagne (=le volume des ressources financières engagées) est un élément déterminant de l’issue, électorale d’abord, des votations ensuite. Il y a, certes, des défaites, mais rares ô combien. Ces dernières années, RIE 3 aura été l’une des plus cinglantes. Mais en même temps, tellement facile à régler, dès lors qu’on contrôle l’essentiel: les Chambres. Il permet de remettre la compresse, avec un texte – PF 173>lecourrier.ch/2018/06/05/le-ps-et-lunion-syndicale-suisse-preparent-ils-un-coup-de-force/ – quasi identique à un petit rhabillage près4>lecourrier.ch/2018/08/15/projet-fiscal-17-un-piege-pour-la-gauche/ avec la quasi certitude que cette fois sera la bonne: la fatigue des modestes forces susceptibles de lancer un référendum finira bien par «avoir raison» des opposants à la défiscalisation des profits des multinationales actives dans notre pays.

Sauf… à ce que l’équilibre électoral change radicalement. Aux calendes grecques, donc…

Et, plus largement, on retiendra aussi ceci: que notre «démocratie» est le simulacre d’une oligarchie jalouse de ses prérogatives – prête à tout pour défendre son «droit» au pilotage de la politique par l’argent.

Mais, chut!, ici, on risque le «politiquement incorrect». Selon ce bon vieux mot: «ce dont on ne peut parler, il faut le taire».

Notes[+]

* Philosophe, Maître d’enseignement et de recherche à l’Université de Lausanne.

Opinions Agora Hugues Poltier Financement des partis

Connexion