Chroniques

Netanyahou blanchit l’histoire

AU PIED DU MUR

Benjamin Netanyahou – cet homme détestable qui a osé un jour accuser la gauche israélienne d’avoir oublié ce que c’était qu’être Juif1>Relire la chronique de Michel Warschawski, «Netanyahou a oublié l’histoire juive, mais pas nous», Le Courrier du 30 janvier 2018. – vient de cosigner un document avec le premier ministre polonais, Mateusz Morawiecki, dans lequel il blanchit «la nation polonaise dans son ensemble» pour le génocide de plus de deux millions de Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. Dans le document officiel dicté par la droite ultraconservatrice polonaise, des faits historiques ont été falsifiés, suivant un argumentaire grossièrement négationniste.

Quand on connaît l’instrumentalisation systématique de la lutte contre l’antisémitisme par le premier ministre israélien et ses organes de propagande pour clore le bec de qui ose – en particulier à gauche – critiquer sa politique, on est doublement choqué par cette déclaration. Pour ne pas dire écœuré.

Je fais pourtant partie de cette minorité de Juifs de plus de 60 ans qui ont toujours refusé d’accuser collectivement le peuple polonais du génocide commis dans son pays et j’insiste sur le fait que des milliers de citoyen-ne-s ont risqué – voire sacrifié – leur vie pour protéger des familles juives. Comme dans tous les pays occupés par les nazis, la Pologne comptait une minorité de gens mauvais et corrompus, une petite minorité de Justes – mais plus qu’on ne le croit – et une majorité qui a fermé les yeux et laissé faire, s’efforçant de survivre dans les dures conditions de l’occupation nazie.

Il n’empêche que la Pologne a été le cimetière de plus de deux millions de Juifs massacrés par les nazis, mais aussi par des Polonais nationalistes ou simplement pourris par des siècles d’antisémitisme catholique. Le fait que les nazis méprisaient les Polonais, ainsi que l’ensemble des Slaves, et que de très nombreux Polonais ont été eux-mêmes victimes de l’occupation nazie n’efface pas cette participation active d’une partie importante de la société polonaise au judéocide. Il en est de même, d’ailleurs, de la Hollande, de la Belgique et de la France, dans des proportions certes non comparables.

Yad Vashem, le plus important centre d’archives et de recherches sur le judéocide, a sévèrement dénoncé la déclaration Netanyahou-Morawiecki, ainsi que la nouvelle loi mémorielle votée par la Diète [chambre basse du Parlement polonais] et approuvée elle aussi par le premier ministre israélien. Cette loi criminalise toute personne, chercheur, politicien ou citoyen-ne ordinaire qui impliquerait la responsabilité polonaise dans le massacre des Juifs. Même Naftali Bennett, le ministre israélien de l’Education et chef du parti d’extrême droite ultranationaliste et religieux Le Foyer juif, a vertement critiqué la déclaration, qu’il qualifie de «honte saturée de mensonges» – «En tant que ministre de l’Education responsable de promouvoir l’histoire de l’holocauste, je la rejette de A à Z», a t-il asséné.

Le vice-ministre polonais des Affaires étrangères a réagi avec un cynisme – «ce qui compte c’est la signature de Netanyahou, pas la déclaration de Yad Vashem» – qui expose l’étendue de l’ignominie dans laquelle le premier ministre israélien s’est délibérément vautré.

Ce choix abject relève de la stratégie, et non de l’opportunisme diplomatique, comme cela avait été le cas dans les relations entre Israël et l’Afrique du Sud ou les dictatures militaires d’Amérique latine: ce qui lie Netanyahou aux Morawiecki, Orban [premier ministre hongrois] et autres leaders d’extrême droite d’Europe centrale et orientale, ce sont des valeurs communes et la volonté de créer un front européen capable de contrebalancer les Etats dits libéraux qu’ils méprisent. Ces valeurs sont l’ultranationalisme, le racisme, la xénophobie et la haine des migrants en particulier.

Dernier exemple de cette communauté de vues: la mise à la retraite forcée par le gouvernement polonais de la présidente de la Cour suprême et sa mainmise sur la nomination des juges. Ce sont exactement les plans de Netanyahou envers la Cour suprême israélienne, déjà amorcés par la ministre de la Justice Ayelet Shaked qui ne cache pas qu’à ses yeux, et à ceux de son patron, l’indépendance judiciaire fait obstacle à leur conception populiste de la démocratie.

Notes[+]

* Militant anticolonialiste israélien, fondateur du Centre d’information alternative (Jérusalem/Bethléem).

Opinions Chroniques Michel Warschawski

Chronique liée

AU PIED DU MUR

lundi 8 janvier 2018

Connexion