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Les mesures de surveillance par géolocalisation doivent être strictement encadrées

Pierre-Yves Bosshard interroge la nécessité de la surveillance par géolocalisation dans une société démocratique.
Chronique des droits humains

Le 8 février dernier, la Cour européenne des droits de l’homme a dit que la France avait violé l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui garantit à toute personne le droit au respect de sa vie privée et familiale, pour avoir autorisé l’apposition d’un dispositif technique de localisation (récepteur GPS) sur le véhicule du requérant.

Le requérant se trouvait sous contrôle judiciaire au moment des faits. Avec ses frères, il était soupçonné d’être impliqué dans un trafic de stupéfiants de grande ampleur et fit l’objet de plusieurs mesures de surveillance. Le 24 juillet 2009, les officiers de police judiciaire délivrèrent, sur autorisation du procureur de la République, une réquisition judiciaire à un opérateur de téléphonie mobile afin d’identifier les appels entrants et sortants sur quatre lignes téléphoniques ainsi que les cellules activées par ces lignes. Le 10 mai 2010, les services de police obtinrent du juge d’instruction l’autorisation verbale d’apposer un dispositif technique de localisation sur un véhicule utilisé par le requérant, ses frères et d’autres personnes impliquées dans le trafic de stupéfiants. Le 3 juin 2010, le juge d’instruction ordonna la mise en place d’un dispositif technique ayant pour objet de capter, fixer, transmettre et enregistrer les conversations des personnes utilisant le véhicule et, sur le fondement de l’article 81 du Code de procédure pénale, la mise en place, pour une durée d’un mois, d’un dispositif de géolocalisation de ce véhicule par GPS. L’exploitation des données issues de ces mesures permit aux enquêteurs de savoir que le véhicule s’était déplacé le 9 juin 2010 aux Pays-Bas pour importer des produits stupéfiants. Ainsi, le requérant et ses complices furent arrêtés et placés en garde à vue, puis mis en examen des chefs d’acquisition, détention, transport, offre ou cession de stupéfiants en bande organisée et d’importation de stupéfiants. Le 14 décembre 2012, le requérant fut condamné à douze ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende. Ce jugement a été annulé le 17 octobre 2013 pour vice de forme et la procédure pénale est toujours pendante.

Au cours de la procédure pénale, les intéressés contestèrent la validité de la réquisition de l’opérateur téléphonique et de la mise en place du dispositif de géolocalisation. Au mois de mai 2011, la Cour d’appel de Paris annula la première autorisation – verbale! – de géolocalisation du 10 mai 2010. Elle considéra cependant que l’autorisation du 3 juin 2010 était proportionnée au but poursuivi dans la mesure où il s’agissait d’un important trafic de stupéfiants en bande organisée. Le 22 novembre 2011, la Cour de cassation française, qui se prononçait pour la première fois sur la compatibilité de la géolocalisation avec l’article 8 de la Convention, estima que la Cour d’appel avait fait une exacte application de la convention.

La Cour européenne des droits de l’homme observe que la géolocalisation en temps réel constitue une technique spéciale d’enquête qui permet de suivre en direct les déplacements d’une personne ou d’un objet. Il existe deux méthodes pour y procéder: d’une part, le suivi dynamique d’un terminal de télécommunication, avec l’exploitation de la technologie propre d’un téléphone, d’une tablette ou d’un véhicule équipé d’un système GPS; d’autre part, un dispositif matériel directement installé sur moyen de transport ou sur un autre objet, à l’instar d’une balise. Par sa nature même, la surveillance par géolocalisation est, en règle générale, moins susceptible de porter atteinte au droit d’une personne au respect de sa vie privée que d’autres méthodes de surveillance par des moyens visuels ou acoustiques qui révèlent plus d’informations sur la conduite, les opinions ou les sentiments de la personne qui en fait l’objet. Il n’en demeure pas moins que la surveillance d’une personne par GPS ainsi que le traitement et l’utilisation des données ainsi obtenues s’analysent en une ingérence dans la vie privée de cette personne, protégée par l’article 8 CEDH, comme la Cour a eu l’occasion de le juger dans une affaire de principe concernant l’Allemagne.

Conformément au deuxième paragraphe de cette disposition, cette ingérence n’est admissible qu’à la condition qu’elle soit prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. Dans le cas jugé, le juge d’instruction avait appliqué l’article 81 du Code de procédure pénale qui lui permettait, de manière très générale, de procéder à tous les actes d’information qu’il jugeait utiles à la manifestation de la vérité. Cette disposition n’était pas assez précise pour constituer une base légale suffisante à la surveillance par géolocalisation. Le législateur français l’a du reste compris, puisqu’il a adopté, en 2014, une modification du Code de procédure pénale encadrant strictement cette pratique.

En Suisse aussi, la surveillance par géolocalisation fait l’objet d’un débat vigoureux. Le 18 octobre 2016, la Cour européenne des droits de l’homme avait jugé qu’en Suisse, la base légale permettant aux organes d’assurances sociales de surveiller les assurés n’était pas assez précise. Les autorités fédérales se sont donc attelées à modifier la loi sur la partie générale des assurances. Le projet de la commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil des Etats prévoit la possibilité d’utiliser des instruments techniques visant à localiser l’assuré – tel un émetteur GPS – alors que la minorité de gauche de cette commission et le Conseil fédéral s’y opposent. La question, ici, n’est pas la clarté de la base légale, mais la nécessité d’une telle mesure dans une société démocratique.

Pierre-Yves Bosshard est avocat au Barreau de Genève et membre du comité de l’Association des juristes progressistes.

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