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Ebola et le conte philosophique

Catherine Morand passe en revue l’œuvre de l’écrivaine ivoirienne Véronique Tadjo en s’attardant sur le conte que cette dernière a écrit sur la tragédie du virus Ebola.
EST-CE BIEN RAISONNABLE?

Rien de ce qui se passe sur le continent africain ne laisse l’écrivaine ivoirienne Véronique Tadjo indifférente. Dans les livres de cette poète, romancière, peintre et auteure de plusieurs livres pour enfants, on retrouve souvent, en filigrane, des évènements qui ont profondément marqué l’inconscient collectif du continent, y imprimant une marque indélébile, qu’elle transcende de sa belle écriture, dépouillée et allégorique.

Le génocide rwandais est ainsi au cœur de son livre L’Ombre d’Imana. Voyages jusqu’au bout du Rwanda (2001), tandis que la crise ivoirienne se retrouve en toile de fond de Loin de mon père, publié en 2010. C’est également le cas dans son dernier livre, En compagnie des hommes, publié à la fin de l’année dernière aux éditions Don Quichotte. A partir du virus Ebola qui s’est abattu sur l’Afrique de l’Ouest en 2014, elle tire un conte philosophique qui rejoint l’universel, à coups de chapitres courts, qui donnent à entendre de multiples voix liées à cette tragédie.

Véronique Tadjo donne tout d’abord la parole au baobab, arbre premier et majestueux, symbole de sagesse ancestrale: «Nous, les arbres. Nos racines plongent jusqu’au cœur de la terre dont nous sentons battre le pouls. […] Nous sommes le lien qui unit les hommes au passé, au présent et au futur incertain.» Ce roman, rédigé comme un chœur où les voix s’entremêlent, pose aussi la question du rapport de l’homme à son environnement naturel. Et si ce virus mortel provenait avant tout de l’homme lui-même, de son acharnement à détruire la nature, la forêt, à coup d’agressions sans retour, provoquant ainsi des phénomènes qui menacent l’existence même des êtres humains sur la planète Terre ?

Un roman réaliste

C’est aussi un roman réaliste, qui plonge dans le quotidien de la lutte contre le terrible virus, par les voix d’un médecin «en combinaison d’astronaute», d’une infirmière sage-femme pleine d’humanité, d’un volontaire étranger employé d’une ONG, ou encore d’un chercheur congolais – qui a découvert le virus dans son pays, l’ex-Zaïre, en 1976 –, et des creuseurs de tombes, qui enterrent les corps pestiférés. Le scandale du système sanitaire en Afrique est donné à voir sous son jour le plus cru, tout comme l’irresponsabilité de l’Etat, incapable de protéger ses citoyens. On ressent aussi la «déshumanisation» engendrée par le virus, qui empêche d’étreindre les proches contaminés, d’accomplir les rites traditionnels pour accompagner les mourants, par crainte de contagion.

Dans le concert polyphonique des voix, le virus Ebola lui-même fait entendre la sienne pour renvoyer les hommes «devenus plus exigeants, avides et prédateurs» à leurs propres responsabilités. Celle de la chauve-souris renforce le côté allégorique de ce livre, qui renvoie à une problématique universelle.

Dans l’air du temps

Dans un contexte de changement climatique, où les catastrophes naturelles se succèdent sous toutes les latitudes – qu’il s’agisse d’inondations, de sécheresse prolongée, de l’arrivée de nouveaux virus, de nouvelles maladies – c’est toute l’humanité qui semble désormais menacée. Ce roman s’inscrit donc parfaitement dans l’air du temps, et ambitionne de contribuer, de manière poétique, à une prise de conscience écologique, avant que ne s’abattent des catastrophes encore plus meurtrières. Véronique Tadjo formule l’espoir de voir le continent africain renouer avec l’animisme, une vision du monde où l’être humain fait partie intégrante d’une nature respectée et valorisée.

Au printemps dernier, c’est un autre conte de Véronique Tadjo, celui de la reine Pokou, une reine Baoulé qui doit sacrifier son fils unique pour libérer son peuple, qui avait fait l’objet d’une représentation grandiose, avec plusieurs centaines de choristes, à l’auditorium Stravinsky de Montreux, sur une musique de Jérôme Berney.

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lundi 8 janvier 2018

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