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Quand la démocratie abdique

Turquie

Des députés incarcérés sans motif, des journaux fermés et leurs plumes embastillées, des centaines d’associations interdites, des administrations purgées et leurs employés emprisonnés par milliers, des populations déplacées de force… Depuis l’hiver 2015-2016, lorsque Recep Tayyip Erdogan a tranquillement réprimé à l’arme lourde les révoltes urbaines de la jeunesse kurde, sans la moindre réaction des Chancelleries, le «reis» d’Ankara sait qu’il a les mains libres. En avril dernier, il a pu allégrement bourrer les urnes de son référendum mal engagé. Ses principaux partenaires géopolitique – l’OTAN – et économique – l’Union européenne – ont abdiqué toute prétention à amener la Turquie vers le respect minimal de l’Etat de droit, comme le dénonce aujourd’hui dans nos colonnes l’historien Hamit Bozarslan.

Ce week-end, pour la troisième année consécutive, une Gay Pride interdite sous prétexte d’ordre public a été dispersée à coups de balles en caoutchouc, illustration du dédain du pouvoir turc envers ses minorités. Voire de sa haine envers tout ce qui ne rentre pas dans le carcan islamo-conservateur enserrant de plus en plus fort ce pays à cheval entre Orient et Occident.

Depuis cent dix jours, un homme et une femme symbolisent la résistance d’une partie des Turcs à la transformation de leur République en un ubuesque Empire. L’une, professeure de lettres, l’autre simple instituteur. Nuriye Gülmen et Semih Özakça ne se nourrissent plus depuis le 13 mars, attendant ensemble la mort physique, après avoir enduré la mort sociale.

Comme nous le racontions il y a peu, ces deux jeunes fonctionnaires, à l’instar de dizaines de milliers d’autres, ont été privés de leur travail, expulsés de leur école, exclus du chômage et placés sur des listes noires, qui les empêchent même de rêver à un nouvel emploi décent. Pourquoi? Pour avoir prétendument soutenu une éphémère tentative de coup d’Etat militaire que personne dans la population n’a appuyé? Plus simplement car leur tête – trop bien faite – ne revenait pas aux tout- puissants serviteurs du «reis», chargés de la chasse aux sorcières.

Nuriye Gülmen et Semih Özakça n’ont pas accepté que l’arbitraire vienne détruire leur vie, tuer leur vocation. Sans recours légal possible, ils ont pris la rue. Puis, face à la répression policière, ils ont entamé une grève de la faim.

Dimanche, alors que des millions de musulmans terminaient le Ramadan, Nuriye et Semih – désormais incarcérés pour terrorisme – n’ont pas fêté l’Aid-el-Fitr. Il est même probable qu’ils ne mangent plus jamais. Trop sûrs de leurs droits, trop fiers de leur lutte pour lâcher prise. Dans quelques jours, ils s’éteindront, frêles lumières dans l’obscurité qui commence à recouvrir la Turquie. Dans l’indifférence complice des Européens.

International Opinions Actualité Édito Benito Perez Turquie

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mardi 27 juin 2017 Selver Kabacalman
L’historien Hamit Bozarslan décrit la Turquie comme un pays livré à l’arbitraire de son «reis», malgré la résistance des Kurdes. Il dénonce la capitulation de la démocratie...

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