De nouvelles règles à l’épreuve urbaine
Après presque dix ans d’application de la loi du 20 février 2008 sur les surélévations (L 10088), la pratique pour «permettre la construction de logements supplémentaires» a été l’objet d’une révision de la part du Département cantonal de l’aménagement, du logement et de l’énergie en collaboration avec la Ville de Genève. Si la loi n’a pas subi de changement, les nouvelles règles d’application rendent en revanche l’exercice de surélever plus exigeant par l’ajout de critères qualitatifs permettant enfin de mieux clarifier la notion d’«harmonie urbanistique» contenue dans la loi.
Cette révision a été l’occasion d’établir un bilan sur la durée, la part de production de logements projetée demeurant extrêmement faible1 value="1">Elle était évaluée entre 7 et 8% de l’objectif global fixé par le Plan directeur cantonal 2030, mais n’en représenterait aujourd’hui que 4 à 5%.. A cela s’ajoutent d’autres tracas d’ordre administratif: une certaine complexité dans la formulation des projets lors des demandes en autorisation, des difficultés de coordination entre les services de l’administration chargés d’aiguiller les préavis des commissions consultatives – Commission d’architecture (CA) ou Commission des monuments, de la nature et des sites (CMNS) – et finalement une augmentation des procédures de recours, témoignant de nombreuses résistances face à ces projets.
Au vu de ces premiers éléments factuels, l’Etat et la Ville de Genève se sont coordonnés pour reprendre l’ensemble du problème et ont mis sur pied en 2015 un groupe d’experts sous la direction de l’architecte et urbaniste Bruno Marchand, professeur à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), avec pour objectif d’accompagner la loi d’une base méthodologique d’analyse des projets de surélévation. Le travail du groupe d’experts s’est traduit dans un document qui, à travers une analyse comparative de quelques réalisations de surélévations d’immeubles de logement, permet de mettre en évidence des principes et des critères pour une approche qualitative de la problématique.
Retour sur l’accord de 2008 et son application
Cette «Méthode d’évaluation des requêtes en autorisation de construire: guide et directives», appelée plus communément «Méthode ABCD pour les surélévations» est destinée aux commissions (CA et CMNS), mais également aux bureaux d’architectes2 value="2">www.ge.ch/dale/directives/ac_surelevation-guide-et-directives.pdf.
Dès la naissance du projet de loi sur les surélévations «Büchi/Hiltpold» en 2006, l’association Patrimoine suisse Genève avait réagi face au risque d’une modification des hauteurs de la ville. Cette loi allait changer sensiblement les règles de composition urbaine de la Genève moderne appliquées à partir du milieu du XIXe siècle lors de l’extension de la ville, suite à la démolition des fortifications. Nous estimions que le rehaussement des gabarits posait un vrai problème d’urbanisme et de patrimoine, en particulier dans la 2e zone, soit le secteur bâti de la «ceinture fazyste». Nous n’étions pas opposés au principe de surélévation en soi, mais à celui d’une généralisation, au gré des opportunités immobilières ou des propriétaires, conduisant à des alignements ou des volumétries chaotiques dans la ville et balayant un caractère patrimonial essentiel, celui de l’harmonie entre les espaces vides et les gabarits des immeubles.
Il aura donc fallu un référendum pour obliger les autorités cantonales à négocier une loi qui prenne en compte des critères tels que l’architecture et le patrimoine, les ombres portées sur rue, la structure des bâtiments, ou encore la réalisation de loyers abordables. Pour ne pas aller en votation, le Conseil d’Etat a ouvert un processus de négociation avec toutes les parties impliquées dans le débat. Patrimoine suisse Genève, rappelons-le, s’est donné alors mandat de ne pas céder sur les objectifs suivants:
• Respecter le patrimoine bâti et le caractère architectural des bâtiments (loi sur les ensembles, dite «loi Blondel», épannelage de la ville, harmonie urbanistique de la rue);
• Plafonner les hauteurs selon la largeur de la rue (ensoleillement, voisinage);
• Etablir des cartes indicatives des quartiers pour les 2e et 3e zones urbaines, déterminant les invariants, les possibles et ce qui est à discuter.
L’accord précisait encore quelles hauteurs ajoutées seraient admises: soit un étage (3 m) dans une rue présentant une largeur égale ou inférieure à 21 m ou 24 m (respectivement en zones 2 et 3), soit deux étages (6 m au maximum) si l’artère est plus large3 value="3">Nous avions obtenu un abaissement de la hauteur maximale à 6 m, alors qu’elle était fixée initialement à 9 m, pour autant que la largeur de la rue le permette..
Notre participation à cette négociation a été critiquée par certains. Plusieurs estimaient qu’une votation populaire aurait permis de rejoindre notre point de vue. Notre association soutenait un respect des hauteurs de 21 m ou 24 m à la corniche des bâtiments et de n’admettre des surélévations qu’au cas par cas. Malheureusement, l’application de cette loi s’est illustrée comme «un grand feu vert» à l’empirisme d’une politique publique en la matière. Par ailleurs, l’usage de dérogations4 value="4">Dérogations rendues possible par l’article 11 de la LCI (Loi sur les constructions et installations diverses). a permis à l’autorité de ne pas tenir compte des préavis de la CA ou de la CMNS lors de requêtes en autorisation de construire. L’exception est donc devenue la règle!
L’impossible dessin de «cartes indicatives» et leurs imprécisions
Les «cartes indicatives», élaborées par les services de l’Etat, étaient divisées par secteurs ou par quartiers et animées par 3 couleurs. Elles permettaient (ou auraient dû permettre) de localiser les immeubles dits «surélevables» (en vert), ceux qui ne l’étaient pas (en rouge) et enfin ceux dont la surélévation était «discutable» (en jaune). La quasi absence sur les cartes de rouge et de jaune a conduit à de fausses interprétations de la loi. Le message du «quasiment tout surélevable» a été vendu auprès de la plupart des propriétaires ou maîtres d’ouvrage, ainsi que dans les milieux professionnels de la construction. Au surplus, les cartes indicatives validées par le Conseil d’Etat n’ont jamais été soumises à la CMNS et à la Ville de Genève, commune principalement concernée. L’accord l’avait pourtant prévu, une supercherie qui vaudra à l’autorité plusieurs revers venant des instances judiciaires. Il est intéressant de constater qu’entre 2012 et 2015, on assiste à l’instauration de jurisprudences mettant le doigt sur cet «empirisme» déconcertant.
Notre demande au Conseil d’Etat, après quatre ans de pratique, d’établir un premier bilan sur l’efficacité de ces «cartes indicatives» pour y apporter des améliorations est restée infructueuse. Il a fallu attendre des recours, des mouvements de résistance des quartiers ainsi qu’une position très critique de la Ville de Genève pour constater l’échec de ce qui aurait dû être un instrument graphique servant à encadrer les possibilités de surélévation. Cet état de fait a crispé sérieusement les rapports entre le DALE (anc. DCTI) et notre association ainsi que la plupart des associations d’habitants.
Les règles ainsi brouillées nous ont placés dans une situation délicate, puisque nous avions signé un accord, qui fut finalement accusé de tous les maux. Nous n’avions plus la possibilité de négocier des critères plus explicites ou de mobiliser des compétences urbanistiques, patrimoniales et architecturales.
C’est donc avec soulagement que nous prenons connaissance de la révision des conditions et des règles d’application des art. 23 à 27 de la LCI (Loi sur les constructions et installations diverses). Grâce à la nouvelle méthode élaborée par le groupe d’experts, l’exercice des projets de surélévation va sans doute s’affiner et devenir plus complexe, plus exigeant et, nous l’espérons, plus cohérent et conforme à la notion d’«harmonie urbanistique» contenue dans la loi.
Plus qu’une densification en hauteur, une question de patrimoine et d’architecture
Nous sommes conscients des enjeux financiers et du fait que cette loi participe finalement au phénomène de «gentrification» de la ville, particulièrement dans les quartiers populaires. Manifestement, elle s’éloigne de l’un de ses buts, à savoir de «répondre aux besoins prépondérants de la population». En ce qui nous concerne, le respect du patrimoine bâti reste notre préoccupation principale. Au final, il s’agit de trouver un juste équilibre à l’échelle urbaine et de reconnaître dans chaque projet, une «valeur ajoutée», notion bien différente de celle d’une «pièce rapportée».
S’il y a réellement une volonté de l’autorité compétente du DALE à mieux faire – la question reste posée – Patrimoine suisse Genève attend avec impatience les premiers résultats d’une réelle politique patrimoniale, que semble augurer ces nouvelles règles d’application. En définitive, la silhouette (skyline), le paysage des toitures, ainsi que la capacité de la ville à se renouveler sur elle-même sont à remettre aujourd’hui au centre des débats et des pratiques engagées. Par ailleurs, la reconnaissance d’une «écologie de la mesure» et d’une économie de moyens pourraient servir de guide à ces projets singuliers que sont les surélévations dans le domaine bâti, ancien ou contemporain.
Patrimoine Suisse Genève en bref…
La section genevoise de Patrimoine suisse a été fondée en 1907 sous le nom de Société d’art public. Elle s’engage pour la sauvegarde du patrimoine bâti, encourage une architecture contemporaine de qualité, contribue à valoriser l’espace public et soutient un aménagement du territoire respectueux du paysage. Patrimoine suisse Genève est une association à but non lucratif, reconnue d’intérêt public, qui fonctionne grâce au bénévolat. Il est possible de soutenir son action en devenant membre ou en faisant un don: www.patrimoinegeneve.ch
Notes
* Paru sous le titre «Surélévation d’immeubles en 2e et 3e zone: de nouvelles règles à l’épreuve urbaine» dans le journal Alerte n° 140, été 2017, de l’association Patrimoine suisse Genève, www.patrimoinegeneve.ch/