Agora

Sans travail des enfants, pas de survie

SOLIDARITÉ • Au Pakistan, nombre d’enfants doivent travailler, afin d’aider leur famille à survivre. Un nouveau projet de Solidar leur propose, malgré tout, une formation de base.

«Oui, j’irais volontiers à l’école», affirme Naheed, 8 ans. Interrogés à leur tour, Khurram, Sahiba et Dillawar renchérissent sans hésiter. Pourtant, au lieu d’aller à l’école, ils travaillent dans la métallurgie, peignent des pinces à cheveux ou des tirelires, et aident ainsi leurs parents à nouer les deux bouts. Ils vivent à Ahmed Town et à Shahdara, deux bidonvilles de Lahore, au nord-est du Pakistan. Leur situation n’a rien d’exceptionnel, dans un pays dont 60% des habitant-e-s vivent avec moins de deux dollars par jour et où 12 millions d’enfants travaillent.

«Je voudrais que mes enfants aillent à l’école, afin que leur avenir soit meilleur», soupire la mère de Naheed, avant d’expliquer: «Après la naissance de mon dernier enfant, j’allais très mal et me suis fait opérer. Mon mari ne gagne pas assez. C’est pourquoi les enfants ont dû contribuer au revenu.» Les deux aînées des cinq enfants – Naheed et sa sœur de 7 ans – aident leur mère à des travaux de broderie. A elles trois, elles ne gagnent pourtant pas plus de dix francs par mois. «S’il ne fallait pas payer de taxes scolaires, j’enverrais tout de suite Naheed à l’école», assure son père, dont le revenu de conducteur de tuck-tuck avoisine 80 francs par mois. Ahmed Town ne possède pas d’école publique et la plupart des parents ne peuvent payer les taxes de l’école privée locale. Le rêve de Naheed – devenir institutrice – relève de l’utopie.

Dillawar, 12 ans, a quitté l’école après la deuxième année seulement. «De toute façon, le maître ne faisait que dormir au lieu d’enseigner», raconte son frère, qui témoigne ainsi de la déliquescence du système éducatif pakistanais. Comme beaucoup d’enfants, Dillawar a commencé à travailler dès l’âge de 6 ans. Engagé dans un atelier de métallurgie, il actionne des machines ou déplace de grosses pièces en fer… parfois jusque dans la nuit. Ses heures supplémentaires ne sont pas rémunérées. On déduit au contraire régulièrement divers montants de son maigre salaire de 20 francs, sous prétexte qu’il ne travaille pas assez dur. «Les parents m’ont demandé si je ne voulais pas engager leurs enfants pour qu’ils apprennent quelque chose», répond le patron de Dillawar, lorsqu’on lui demande pourquoi il emploie des enfants. Mohammed Haheeb estime ainsi rendre service aux parents. «Sans les enfants, j’aurais moins d’employé-e-s, que je devrais payer davantage», affirme-t-il. Ses propres enfants ne travaillent pas. Ils fréquentent une école privée. C’est ce dont rêve Dillawar, qui voudrait apprendre à lire et à écrire, afin de trouver un bon emploi plus tard.

Sahiba, 12 ans, a quitté l’école au terme de la quatrième année. Avec sa sœur de 10 ans, elle aide leur mère à peindre des tirelires en plastique: pour 144 pièces peintes, elles ne reçoivent que 13 centimes. Le père de Sahiba serait-il disposé à envoyer ses enfants à l’école, à condition qu’il y en ait une à proximité? «Je laisserais mes fils y aller après le travail – si cela ne diminuait pas leur salaire. Mais les filles sont assez grandes pour se marier.» A l’instar des mères de Sahiba et de Naheed, beaucoup de Pakistanaises travaillent chez elles, ce qui implique souvent leurs enfants. Le travail à domicile est encore plus mal payé que dans les usines. Les enfants doivent donc mettre la main à la pâte. Les filles travaillent le plus souvent à la maison, les garçons dans des ateliers.

C’est le cas de Khurram, 10 ans, qui fabrique des pinces à cheveux pour un salaire de quelque 25 francs par mois. L’atelier se trouve dans un immeuble neuf, qui sent le béton frais. Au rez-de-chaussée, d’énormes machines crachent des pièces en plastique, que des femmes et des enfants, travaillant à domicile, dotent de ressorts. Khurram et ses jeunes collègues fixent les pinces assemblées sur des baguettes, les peignent et les alignent sur des tréteaux mobiles, avant de les placer dans le séchoir. La peinture est certes réalisée à l’extérieur, sur le toit du bâtiment et des ventilateurs sont activés. L’odeur est pourtant si forte que l’auteure de ces lignes s’est sentie mal au bout d’une demi-heure. «La peinture n’est pas dangereuse», estime le patron Imran Ali, tout en refusant de révéler sa composition. Il prétend employer cinq enfants et cinq adultes, dans une entreprise qui produit pour le marché local et exporte vers l’Afghanistan.

Lors de nos deux visites, nous n’avons, outre le responsable, rencontré aucun adulte, mais sept enfants âgés de 8 à 12 ans. C’est sans doute parce qu’Imran Ali est tenu de leur verser un quart seulement du salaire d’un adulte, heures supplémentaires comprises. En cas de maladie, les employé-e-s ne sont pas payés. Il n’est donc pas surprenant d’entendre ce patron déclarer: «Les enfants sont de bons ouvriers. Ils travaillent mieux que leurs parents.»

Au Pakistan, 12 millions d’enfants travaillent. Pour que les enfants comme Naheed, Dillawar, Sahiba et Khurram puissent être scolarisés, Solidar Suisse crée des écoles dans les bidonvilles de Lahore. Les enfants y suivent des cours à proximité de leur travail. Vouloir éradiquer le travail des enfants au Pakistan, sans s’attaquer à ses véritables causes, serait illusoire et reviendrait à combattre un symptôme. Les parents ont besoin du revenu de leurs enfants. Il importe, dès lors, de les sensibiliser à l’importance de la formation, notamment à celle des jeunes filles, ainsi qu’aux risques et aux effets néfastes du travail des enfants – tout comme il importe d’y sensibiliser les employeurs, les autorités et le corps enseignant.
 

* Article paru dans le magazine Solidarité (mai 2014) de Solidar Suisse, l’œuvre d’entraide des syndicats et du Parti socialiste suisse:
www.solidar.ch

Opinions Agora Katja Schurter

Connexion