La filière thorium, imposture ou espoir?
Après une conférence internationale scientifique de haut niveau au CERN, les projets de centrales nucléaires ou de transmutation au thorium ont été le sujet d’une séance de vulgarisation organisée par la Fondation pour l’économie et le développement durable des régions d’Europe (FEDRE) au Cercle des dirigeants d’entreprises de Genève à laquelle j’ai assisté le 20 janvier. Décidemment, on met le paquet pour populariser cette technologie peu connue du grand public. Avec le slogan «Le thorium, l’atome de la paix», une nouvelle génération de centrales nucléaires serait-elle en gestation? Les idées de transmutation des déchets sont-elles réalistes? Le «Rubbiatron» utiliserait un nouveau combustible: le thorium. Une solution high tech qui rendrait impossible l’explosion par une réaction incontrôlée. Elle serait même capable d’atténuer la radioactivité des déchets nucléaires existants. Il pourrait «transmuter» une bonne partie de nos déchets radioactifs actuels en des déchets de vie beaucoup plus courte, ce qui, si ça marchait comme prévu, pourrait être un net avantage écologique… Au risque de «dédiaboliser» les centrales nucléaire existantes?
Enfin le réacteur propre? Même si une bonne partie des promesses semble pouvoir êtres tenues, le processus reste dangereux. Nous ne pouvons pas faire confiance aveuglément aux scientifiques, les enjeux financiers sont trop élevés. Dans ce domaine, les universités ne sont pas toujours des institutions neutres, tant elles se sont rapprochées de l’économie. Nous ne disposons plus de spécialistes neutres qui disposent de leurs propres moyens de recherche.
Le rapport «Les limites à la croissance» paru en 1972 nous a montré que le monde ne peut pas être réduit à un seul facteur. Même si nous maîtrisons la production d’énergie, la pénurie des matières premières n’est pas résolue. La pollution classique non plus. Pas de raison non plus de croire que cette technologie contribuera à créer un monde plus juste. Par contre, elle fera perdurer l’illusion que l’énergie est disponible en abondance et que l’on peut continuer à la gaspiller. En fin de compte, cette technologie – pour autant qu’elle fonctionne un jour comme prévu – repousserait simplement d’une ou deux décennies les limites de la croissance, alors que la maitrise de notre consommation et les énergies d’origine renouvelable sont mûres pour être mis en œuvre ici et maintenant. Par contre, si ce qu’on nous dit est vrai: construire un réacteur au thorium par continent permettrait de traiter les déchets radioactifs de longue durée, ce serait une perspective à ne pas négliger. A condition de s’assurer du contrôle démocratique de ce nouveau secteur industriel, une condition difficile à remplir.
Ne donnons surtout pas aux seuls technocrates et aux scientifiques le pouvoir de décision. Actuellement, ce sont les pays autoritaires ou corrompus comme la Russie, la Chine et l’Inde qui sont à la pointe de la recherche dans ce domaine…
* Chimiste. Article à paraître dans le prochain journal trimestriel romand Sortir du nucléaire, février-avril 2014.