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Les conservateurs nous ont pris de vitesse

VOTATIONS • Avec le «oui» à l’initiative contre l’immigration de masse, la gauche suisse, dépassée par l’UDC, paie aujourd’hui le prix de sa frilosité à négocier des mesures d’accompagnement crédibles aux accords bilatéraux, analyse Antoine Chollet.

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Ce qui devait bien finir par arriver est arrivé ce dimanche 9 février. A force de tergiverser sur les mesures d’accompagnement des accords bilatéraux entre la Suisse et l’Union européenne, en renonçant à s’y opposer malgré des problèmes qui devenaient chaque année plus tangibles, la gauche s’est fait prendre de vitesse par la droite nationaliste. Cette dernière a réussi à imposer sa «solution» qui, sans surprise, revient à fermer les frontières, en accusant les personnes étrangères de tous les maux, sans parler des entreprises suisses qui les engagent avec des salaires scandaleusement bas.

De peur de tomber dans la dénonciation xénophobe de la libre circulation, la gauche syndicale et politique a toujours avalisé le résultat des négociations entre le Conseil fédéral et la Commission européenne, quoi qu’il en coûtât par ailleurs aux travailleuses et travailleurs. Ayant jusqu’ici renoncé à négocier plus vigoureusement son adhésion aux accords bilatéraux, la gauche paie aujourd’hui sa prudence en se faisant dépasser par l’UDC. Celle-ci a donc repris l’initiative sur ce dossier, une seconde fois après sa victoire de 1992 contre l’Espace économique européen (EEE).

La pression sur les salaires, dès que le bassin de recrutement s’élargit vers des régions où ceux-ci sont plus bas, devait être combattue par un programme visant à encadrer, puis à contrôler la libre circulation. Comme cette dernière devait passer à plusieurs reprises par les urnes, la gauche suisse se trouvait dans une situation de force rarissime pour négocier des mesures d’accompagnement crédibles. Celles-ci sont connues: salaire minimum légal, extension des CCT, contrôle des contrats de travail, etc. Certaines figurent déjà dans les accords bilatéraux, mais nécessitent, pour être effectives, des contrôles sérieux, et donc un inspectorat du travail correctement pourvu. Ce n’est pas le cas, et la droite qui aujourd’hui se lamente du résultat de ce dimanche en est exclusivement responsable.

Le résultat de ce dimanche vient mettre à terre cette stratégie de la gauche, qui ne valait tant que l’UDC ne parvenait pas à rassembler une majorité sur son opposition à la libre circulation des personnes. Le débat change maintenant de contenu, et il s’agira de se demander comment pratiquer une politique de gauche alors que les relations avec les travailleuses et travailleurs de l’Union européenne sont désormais régies par le système des contingents. L’exercice n’est pas nécessairement impossible, mais les majorités politiques, au niveau fédéral tout du moins, le rendent extrêmement difficile. Tout porte à croire que ce contingentement ne servira que les plus puissants des lobbies industriels et économiques du pays. En ce sens, ce nouveau protectionnisme ne vise qu’à assurer, derrière des frontières que l’on croit contrôler, un libéralisme aussi intégral que possible. C’était surtout cela, l’objectif de l’UDC, une UDC effrayée des modestes mesures de contrôle du marché du travail qui étaient en train de se mettre en place par l’entremise des mesures d’accompagnement. Elle a su utiliser l’arme de la démocratie directe au bon moment, prenant tous ses adversaires de vitesse, à droite comme à gauche.

* Institut d’Etudes politiques et internationales (IEPI), Université de Lausanne.

Opinions Agora Antoine Chollet

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