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Les deux âmes de l’urbanisme

LOGEMENT • La démarche «participative» et le discours écologique qui accompagnent le projet lausannois Métamorphose ne doivent pas faire oublier que sa réalisation dépend des profits escomptés par les «partenaires» privés.  

La Municipalité lausannoise annonçait à l’automne dernier «l’optimisation» de son grand plan urbanistique Métamorphose, que l’on ferait peut-être mieux désormais d’orthographier au pluriel au vu des multiples retards, changements de programme et autres déplacements de stades qu’il a subis au fil des années. Passé ce redimensionnement visant à rendre le projet «financièrement réaliste», c’est-à-dire capable d’attirer suffisamment de capitaux privés dans le «partenariat public-privé» par ses perspectives de rentabilité, les services de communication mandatés par la Ville orchestrent actuellement une «démarche participative» visant la promotion de l’écoquartier des Plaines-du-Loup, première phase du projet qui devrait démarrer dès 2017 entre la Pontaise et la Blécherette.

On peut légitimement se poser la question de l’impact réel qu’aura sur la définition du projet cette «participation» à laquelle nous sommes tou-te-s convié-e-s: en effet, que pourrait-il bien en sortir de concret, dans la mesure où les grandes lignes du plan directeur localisé issu des plans d’urbanisme sont déjà tracées? Si la Ville nous annonce sur son site internet que nous pourrons «consulter les documents, [nous] informer, discuter, réagir ou débattre», elle se garde bien de préciser quel usage sera fait de ces discussions, réactions et débats. Et que dire d’un processus participatif auquel n’est lié aucun pouvoir décisionnel, sinon que cette poudre aux yeux démontre par l’absurde l’absence complète de démocratie dans la conception des grands projets de rénovation urbaine?

En fait de participation, il semble donc bien qu’il ne s’agisse que d’une simple opération de marketing visant à prévenir toute contestation future. La conjugaison n’a pas changé: «Je participe, tu participes, il participe, nous participons, vous participez, ils décident».

L’argument écologique sans cesse mis en avant pose également problème: les écoquartiers, dont actuellement toutes les villes souhaitent se doter, semblent le plus souvent n’être qu’une vitrine du «développement durable», oxymore dont les impasses ne sont plus à démontrer. Ce discours unanimiste de légitimation de la modernisation écologique tend ainsi à faire oublier que la raison d’être fondamentale de la rénovation urbaine reste la logique économique du comblement de différentiel de rente foncière. Certes, Lausanne tente d’utiliser ses ressources foncières comme moyen d’influer sur le type de logements construits, en imposant un minimum de subventionnés ou de «loyers contrôlés». Mais il s’agit de ne pas perdre de vue que la réalisation même de ces projets reste souvent conditionnée par les profits que pourront en tirer des «partenaires» privés, réconciliant ainsi miraculeusement leur enrichissement personnel avec l’intérêt public à disposer de logements écologiques et bon marché…

Face aux spéculateurs immobiliers, aux discours enchantés de la rénovation urbaine et à l’enfumage participatif, il s’agit d’en revenir aux intérêts et aux idéaux des habitant-e-s eux-mêmes: l’aventure de la maison de paille autoconstruite (lire ci-contre) ou la lutte des habitants de l’immeuble Druey 22-30 nous rappellent en effet qu’il est toujours possible de s’organiser collectivement et de manière autonome pour défendre ce qu’Ivan Illich appelait «l’art d’habiter».
 

«Construire, c’est se construire»

Leur histoire avait fait grand bruit: pendant l’été 2007, un collectif construisait une maison de paille en plein cœur de Lausanne, sans autorisation et avec la ferme intention d’y habiter. Largement soutenus par une population impressionnée par cette réalisation novatrice et audacieuse, les membres de ce collectif mettaient en lumière les contradictions d’une Municipalité rouge-vert que ses prétentions écologistes n’empêchaient pas de vouloir raser au plus vite cet exemple d’écologie radicale appliquée, et que l’incendie criminel mettant fin au conflit après quatre mois de rapport de force arrangea bien. Six ans plus tard, le collectif «Straw d’la balle» (straw = «paille» en anglais) revient sur cette aventure dans un livre publié aux éditions «La lenteur» et intitulé La maison de paille de Lausanne. Pourquoi nous l’avons construite, pourquoi elle fut incendiée. Après une présentation détaillée des techniques de construction écologiques utilisées, les auteur-e-s insistent sur le fait que, de leur point de vue, l’autoconstruction en paille n’est pas simplement une technologie écologique politiquement neutre («le matériau lui-même, même bon marché, ne change rien si les rapports sociaux ne changent pas», p. 179), mais bien qu’elle vaut pour les possibilités concrètes d’autonomie auxquelles elle donne accès, ici et maintenant. Critique en acte de l’idéologie du développement durable qui fit l’unanimité de la classe politique contre elle, la maison de paille restera un bel exemple de cette possibilité à la portée de tou-te-s de «réconcilier l’écologie et la liberté» (p. 181).

A lire: Collectif Straw d’la balle, La maison de paille de Lausanne, La lenteur, 2013.

* Textes parus dans Pages de Gauche n° 123, juin 2013, www.pagesdegauche.ch

Opinions Agora Gabriel Sidler

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