«D’un point de vue humanitaire, c’est une bombe à retardement»
LIVIA LEYKAUF*
L’immense majorité des réfugiés venant de Syrie doit se loger chez de la parenté au Liban et en Jordanie, ou louer un logement. Les loyers explosent, les réfugiés syriens doivent désormais payer des sommes extraordinaires pour des garages, des caves, des réduits saturés d’humidité. Vue de l’extérieur, la situation semble presque normale, on ne voit pas les réfugiés. Mais derrière les portes closes, des milliers de personnes vivent dans des conditions plus que précaires.
Par exemple, la visite d’une famille dans le nord du Liban, notamment, m’a beaucoup marquée. La famille vit dans une soupente au-dessus d’une tannerie. En dessous, les propriétaires gardent des moutons, et à côté, des peaux sont traitées avec des produits chimiques corrosifs; la famille vit au milieu de tout cela dans une soupente en tôle. Pour couronner le tout, la maison est située juste à côté d’une grande décharge, et l’odeur est insupportable.
Malheureusement, ce genre de situation n’est pas l’exception. Des femmes ayant six enfants, ou plus, vivent dans des tentes, sans rien posséder, si ce n’est un mince matelas et des couvertures d’été. Certains vivent dans des bâtiments scolaires désaffectés, s’entassant à plusieurs familles dans une seule pièce. Souvent, ils ne possèdent rien d’autre que les vêtements qu’ils ont sur le dos et ils dépendent complètement de l’aide extérieure.
Au Liban, le gouvernement essaie d’éviter la formation de camps de réfugiés. Pourtant, il y a des villes entières de tentes. Normalement, ce sont des travailleurs saisonniers qui vivent là, mais actuellement, des réfugiés syriens viennent aussi s’y installer. J’ai également vu une sorte de camp à Baalbek [à 90 km à l’est de Beyrouth]: dans une grande halle, on a érigé des parois et mis en location les pièces ainsi créées. Près de 200 personnes vivent là-dedans. Et en Jordanie se trouve évidemment le grand camp de réfugiés étatique de Zaatari, où s’entassent d’ores et déjà plus de 30 000 réfugiés.
Le nombre de réfugiés syriens augmente de façon dramatique. Actuellement, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) enregistre près de 3000 nouveaux réfugiés syriens chaque jour! Malgré l’hospitalité extraordinaire dans la région, les pays voisins atteignent les limites de leurs capacités. Il n’y a pas suffisamment de logements, les soins médicaux ne peuvent plus être assurés, et avec l’afflux quotidien de nouveaux réfugiés, les œuvres d’entraide arrivent à peine à faire face.
L’hiver approche, et dans certaines régions, les nuits sont déjà sensiblement plus froides. En hiver, les températures au-dessous de zéro sont quotidiennes. Pour l’été, il a fallu distribuer des ventilateurs, et maintenant on a besoin d’urgence de grosses couvertures, de radiateurs ou d’une contribution aux coûts de chauffage. Nos entretiens avec les réfugiés ont mis en évidence leur peur de l’hiver qui approche: pour la plupart, ils vivent dans des hébergements absolument inadaptés aux rigueurs de l’hiver.
A Zarqa, la seconde plus grande ville de Jordanie, je me suis entretenue avec un médecin de Caritas. Il m’a dit n’avoir pas encore constaté de signes de sous-alimentation. De manière générale, l’état sanitaire des réfugiés est «encore bon». Mais ce médecin est inquiet de voir que beaucoup d’enfants sont traumatisés. Ils arrivent complètement hagards. Ils mouillent leur lit, souffrent de troubles du sommeil et pleurent sans cesse.
Il n’existe pratiquement pas de programmes psychologiques pour les enfants traumatisés. Mais, avec la guerre qui menace de s’éterniser, il faut désormais les prendre en charge. Les malades chroniques ont également besoin de plus de soutien médical.
Les enfants peuvent théoriquement aller à l’école pour se changer les idées. Au Liban, il faut qu’ils soient enregistrés auprès du HCR, une démarche que beaucoup de réfugiés craignent d’entreprendre, car ils ne veulent pas apparaître dans des registres. Ce qui complique encore les choses est le fait qu’au Liban, notamment, les cours sont parfois donnés en français ou en anglais. Pour les enfants syriens, c’est un gros problème. Un troisième point m’a particulièrement bouleversée. Beaucoup d’enfants doivent travailler pour aider leur famille financièrement. Souvent, ils ne sont pas payés pour leur travail, mais ils reçoivent un repas chaud et des vêtements. Ils ne sont ainsi pas à la charge de leur famille.
Sur le plan politique, il faut sans conteste aider les gouvernements des pays d’accueil à créer d’urgence de nouvelles possibilités d’hébergement, à améliorer les ressources médicales pour les réfugiés et à faire en sorte que les enfants puissent aller à l’école. Il est aussi important de permettre aux organisations d’entraide de poursuivre et de développer leurs programmes d’aide d’urgence en leur versant des dons. Aujourd’hui déjà, la situation des réfugiés est grave. Des milliers de personnes fuient quotidiennement la Syrie, et près de 200 000 ont déjà trouvé refuge dans les pays frontaliers. Mais l’hiver est presque là. D’un point de vue humanitaire, c’est une bombe à retardement.
* Livia Leykauf, déléguée de Caritas Suisse au Liban et en Syrie.
D’autres informations concernant l’engagement de Caritas en faveur des réfugiés syriens: www.caritas.ch/syrie