CONTRE LA GUERRE AUX SANS-PAPIERS
Du 2 juin au 2 juillet, une caravane parcourt l’Europe, à l’appel de la Coalition internationale des sans-papiers et des migrant-e-s (CISPM)1 value="1">Blog de la CISPM: http://marche-europeenne-des-sans-papiers.blogspot.com Participe notamment à la coordination suisse des collectifs Droit de rester/Bleiberecht.. Elle traverse plusieurs pays membres de l’Union européenne et de l’«espace Schengen», notamment la Suisse entre le 21 et le 25 juin, pour se terminer au Parlement européen de Strasbourg le 2 juillet. Les revendications sont axées sur la liberté de circulation et d’installation, la régularisation globale de tous les sans-papiers, l’exercice total des droits des migrant-e-s, la protection et le respect des droits des demandeur-euse-s d’asile, la citoyenneté de résidence et le respect des droits des Roms. C’est aussi l’occasion, tout au long du parcours, de faire entendre une critique globale de la gestion de la migration à l’échelle continentale. Le 2 juillet, nous avons décidé d’organiser une marche de l’aéroport de Genève en direction du centre de rétention de Frambois.
Est-il nécessaire de le rappeler, le système capitaliste est le principal bénéficiaire des migrations et il en est aussi la cause. Non seulement par les inégalités qu’il crée, mais aussi car c’est la recherche de profit qui déclenche la plupart des guerres. Aujourd’hui, une rhétorique apocalyptique prétend qu’en temps de crise, il faut se serrer la ceinture et fermer les frontières, alors que ce sont toujours les mêmes actionnaires et patrons qui continuent à se faire des juteux bénéfices sur le dos des travailleur-euse-s, qu’ils et elles soient migrant-e-s ou non.
Le capital transnational joue habilement avec les frontières afin de maximiser les bénéfices en mettant les salarié-e-s les un-e-s contre les autres pour détourner leur lutte commune contre ceux qui sont véritablement responsables de leur exploitation au quotidien. La misère des gens – d’ici et d’ailleurs – n’est pas une fatalité ou un dysfonctionnement du capitalisme mais bien le moteur de la croissance perpétuelle, indispensable à sa survie.
La croissance, les sans-papiers et les migrant-e-s savent depuis des générations qu’elle ne profite qu’à une petite élite. Ils et elles sont utilisé-e-s massivement comme main-d’œuvre captive, bon marché, corvéable à merci et jetable à tous moments dans tous les secteurs de l’économie, en particulier dans les secteurs non délocalisables (bâtiment, restauration, nettoyage, service etc.).
Les briques de l’Europe forteresse
Parallèlement, l’Europe se constitue en véritable forteresse, avec ses gardes, ses murs et ses donjons. Un dispositif varié qui couple législation répressive, dispositifs d’enfermement et violence policière. Depuis 2005, le contrôle des flux migratoires est confié à l’agence Frontex. Son but est de défendre à tout prix les frontières de l’espace Schengen. C’est une véritable armée européenne, soutenue en hommes et en argent par la Suisse grâce à un budget en augmentation constante.
Le «renvoi Dublin» est un accord européen qui empêche les réfugié-e-s de déposer leurs demandes d’asile dans plusieurs pays différents à la fois. La Suisse en fait partie depuis le 12 décembre 2008. Concrètement, il s’agit d’avoir un prétexte pour refuser systématiquement le statut de réfugié-e et pour renvoyer les migrant-e-s là où ils et elles ont déposé leur première demande.
De plus, pour éviter la tâche ingrate des refoulements, les gouvernements européens ont conclu plusieurs accords afin de déléguer le contrôle de leurs frontières aux pays de départ. Ces mêmes pays ont la tâche d’endiguer les flux migratoires de clandestins et d’éloigner les migrant-e-s du regard des caméras.
A travers toute l’Europe, les migrant-e-s sont enfermé-e-s dans des centres de rétention administrative, pour le seul crime d’avoir franchi une frontière artificielle. Ces endroits sont de véritables prisons. Tabassages, appels au milieu de la nuit, nourriture avariée, sédatifs et manque d’assistance médicale sont la routine dans ces lieux. Le désespoir des détenu-e-s s’exprime individuellement par des tentatives de suicide ou des actes d’automutilation; certain-e-s avalent verre et piles, s’arrachent la peau ou se cousent les lèvres. A d’autres occasions, la lutte prend une forme collective: grèves de la faim, mutineries, émeutes et incendies éclatent un peu partout pour protester contre leur détention et l’expulsion qui les attend.
C’est ainsi que la marche des sans-papiers et des migrant-e-s doit être comprise: une marche de solidarité avec l’ensemble de la population qui ne veut plus d’une société qui donne toujours plus à celles et ceux qui ont presque tout, et de moins en moins à celles et ceux qui n’ont presque rien.
Une ville au cœur du problème
C’est dans ce cadre que nous faisons appel à tous les mouvements sociaux, au syndicalisme de combat, aux organisations politiques non électoralistes, aux milieux de défense des migrant-e-s et des sans-papiers à une journée d’action et de mobilisation le 2 juillet 2012, qui reliera l’aéroport de Genève et le centre de rétention de Frambois.
Genève est au cœur de cette machine monstrueuse qui enferme et exploite. C’est une place financière centrale par laquelle transitent les capitaux issus de l’exploitation des peuples du monde entier, et qui concentre nombre d’organisations internationales (OMC) ou clubs privés (WEF), garantes de l’appropriation des ressources naturelles et humaines nécessaires à la bonne marche du capitalisme contemporain. C’est aussi à Genève que siège l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), qui a pour mission d’organiser une gestion «ordonnée» des flux migratoires qui «profite à tous», entendez qui profite au système en place.
Quant au centre de rétention de Frambois (lire ci-dessous), c’est le lieu par excellence de la violence exercée envers les migrant-e-s, dont le seul «délit» aura été de chercher une vie digne, introuvable chez eux tant le déséquilibre économique mondial divise et hiérarchise.
Frambois, la prison des migrants
Sur la route de Satigny, à deux pas des vignobles qui font la fierté de Genève, se trouve le centre de rétention administrative de Frambois. Cette prison qui ne dit pas son nom possède une vingtaine de lits. Elle est gérée par les cantons de Vaud, Neuchâtel et Genève. Depuis 2008, Frambois tourne à plein. Faute d’un bout de papier qui leur donne le droit d’exister, l’Etat y emprisonne des requérants d’asile déboutés dans l’attente de leur expulsion forcée – dans leur pays, ou dans le pays qui les accepte – faisant fi de leurs droits fondamentaux autant que de leur état de santé physique ou psychologique.
Leur seule présence ayant été jugée illégale, les migrants sont enfermés et renvoyés. S’ils se permettent de ne pas baisser la tête face à la machine à expulsion, notamment en refusant leur départ volontaire, ils sont transférés aux autorités de leur pays comme des dangereux criminels, encadrés par deux ou trois policiers helvétiques, ligotés à leur siège, la tête enfermée dans un casque. Cette torture a déjà fait plusieurs victimes, dont la dernière en mars 2010, quand un réfugié nigérian a succombé à sa déportation.
L’existence de Frambois est fondamentalement intolérable, en tant que partie de la vaste machine par laquelle l’Europe-forteresse protège ses frontières dorées des pauvres qu’elle a elle-même créés à travers le colonialisme et ses avatars libéraux actuels.
Nous voulons briser le silence qui entoure ces prisons, appuyées par la gauche comme par la droite. Nous voulons aller soutenir les personnes incarcérées, jouer de la musique devant les grillages, partager un repas et l’espoir que nous serons en mesure de faire tomber ces murs, prisons et frontières comprises.
A la place d’une gestion technocratique à la sauce OIM (Organisation internationale des migrations), militarisée à la sauce Frontex et carcérale à la sauce Frambois, nous voulons un monde basé sur la solidarité directe où la seule frontière est celle entre les exploiteurs-euses et les exploité-e-s.
Coll. Action Frambois
http://actionframbois.noblogs.org
Notes
* Organisateur de la journée de mobilisation genevoise du 22 juin. http://actionframbois.noblogs.org
Une partie de cet article a été librement inspirée du journal La Lime, Bulletin d’information anti-carcéral, N° 0, Genève, décembre 2010.