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INÉGALITES SALARIALES EN TOUTE DISCRÉTION

SUISSE – La situation salariale des femmes a empiré en deux ans, selon l’Office fédéral de la statistique. Mais, au-delà de la fiabilité des chiffres, l’OFS ne donne plus d’explications, s’inquiète Travail.Suisse. La faîtière syndicale redoute un musellement de l’administration fédérale en mal de crédits.

Les femmes gagnent encore moins que les hommes. La dernière Enquête sur la structure des salaires (ESS) annonce une péjoration de la situation: en deux ans, l’écart salarial en défaveur des femmes a passé de 18,9% à 19,3%. Travail.Suisse, l’organisation indépendante des travailleurs et travailleuses, avait hâte de découvrir les explications à cette mauvaise nouvelle. Contre toute attente, le pourvoyeur de cette statistique par ailleurs fiable, l’Office fédéral de la statistique (OFS), fait preuve d’une réserve préoccupante dans le domaine.
La publication des résultats de l’Enquête sur la structure des salaires est toujours très attendue par les milieux qui défendent l’égalité salariale entre femmes et hommes. Travail.Suisse fait partie du nombre. La déception était à la mesure de l’attente: la situation salariale des femmes a empiré en deux ans.

Une part de l’écart salarial entre les femmes et les hommes varie en fonction de facteurs identifiés. Les qualifications requises pour le poste de travail en sont un, les branches occupées de manière sexo-spécifique en sont un autre, entre autres exemples. Pour les travaux les plus qualifiés, les femmes touchent 19,3% de moins que leurs collègues masculins. Pour les tâches nécessitant des connaissances spécialisées, la différence s’élève à 12,0% et pour les activités simples et répétitives, elle atteint 15,1%. Selon les branches, les différences sont encore plus criantes: 25% et 29% de moins dans les branches «industrie habillement et fourrure», «assurances» et «services personnels», tandis que cette différence n’atteint pas 13% dans la «cokéfaction, industrie chimique», «l’hôtellerie et restauration» et «l’administration publique».

Voilà pour les faits. Jusqu’à présent, l’OFS a toujours livré une analyse assez fine des données, notamment en ce qui concerne les différences salariales entre les sexes. Le traitement réservé à l’ESS 2008 est bien différent. C’est décevant et inquiétant tout à la fois.

En comparant les publications de l’OFS donnant les principaux résultats de l’ESS en 2006 et en 2008, on constate que le chapitre consacré aux différences salariales selon le sexe a été sérieusement réduit, et que la question n’est plus traitée de manière transversale dans les autres chapitres.

Plus aucun commentaire explicatif n’est donné sur les différences régionales entre femmes et hommes, ni sur la répartition des postes à bas salaire selon le sexe, ni sur les différences selon la position professionnelle et le sexe, et aucun mot ne figure dans le commentaire sur les salaires servis par le secteur public. Les tableaux de chiffres sont bien sûr à disposition pour qui a le temps et l’énergie d’en faire une exploitation ciblée. Plus préoccupant encore: le communiqué de presse de l’OFS paru le 17 novembre dernier ne faisait aucune mention de l’aggravation des différences salariales entre femmes et hommes!

On serait tenter de suivre l’OFS qui pondère les mauvaises nouvelles de 2008 par le fait que «la part inexpliquée ou discriminatoire des différences salariales diminue régulièrement depuis l’an 2000». Or, l’enquête 2008 ne donne pas de chiffres nouveaux, hélas. Le dernier calcul, réalisé pour l’ESS de 2006, est par conséquent toujours le même: la part discriminatoire s’élève toujours à près de 40% (38,6% exactement). Vu que cela a été fait pour la période allant de 1998 à 2006, l’administration fédérale devrait continuer à faire calculer la décomposition de l’écart salarial entre femmes et hommes, au lieu de tenter d’adoucir un constat actuel avec un vieil argument.

Pourquoi l’OFS fait-elle preuve d’une telle retenue dans l’exploitation des données?

Sur son site internet, l’OFS permet à toute personne de calculer le salaire moyen et médian selon différents critères. Cet outil est utile aux travailleurs et travailleuses auxquels on demande une flexibilité et une mobilité toujours plus grandes. Il leur permet de connaître le niveau des salaires dans telle ce qui fait qu’une femme obtiendra, toutes choses étant égales par ailleurs, des indications de salaire plus basses qu’u i cela est correct du point de vue statistique, cette option cimente les discriminations salariales dont font l’objet les femmes, en particulier celles qui font usage du Salarium. D’autres calculateurs de salaire sont disponibles en Suisse1, mais aucun n’introduit ce biais avant le calcul. Interpellé par Travail.Suisse, l’OFS n’envisage aucune correction.

Travail.Suisse participe activement au Dialogue sur l’égalité des salaires 2, un projet de la Confédération et des organisations faîtières du monde du travail (voir sous www.dialogue-egalite-salaires.ch). L’objectif est de faire baisser les discriminations salariales entre femmes et hommes par la participation volontaire des entreprises suisses. La question de l’évaluation des progrès enregistrés se pose, comme l’exige la gestion de projets.

A cet effet, les résultats de l’ESS 2012 (peut-être 2014 aussi) seront particulièrement importants vus sous l’angle des inégalités et de la discrimination salariales. Même si cette statistique n’est pas l’outil idéal pour mesurer les effets directs du Dialogue sur l’égalité des salaires, elle sera d’une grande utilité pour suivre l’évolution de la situation générale.

Pourtant, certains milieux patronaux affirment que les chiffres produits par l’OFS ne seraient pas fiables. Cette affirmation n’est pas fondée, elle ne fait qu’éparpiller le débat. En effet, rappelons quelques faits: l’enquête suisse sur la structure des salaires est réalisée tous les deux ans depuis 1994. Chacune des 44 600 entreprises de l’échantillon remplit un questionnaire détaillé portant sur la branche économique et à la taille de l’entreprise, les caractéristiques individuelles des personnes salariées et des postes de travail (formation, position professionnelle, années de service, niveau des qualifications requises pour le poste, type d’activité exercée dans l’entreprise). Entreprises privées et administrations publiques fédérales, cantonales et communales y participent.

La composition de l’échantillon tient compte de la taille de l’entreprise, l’appartenance à la branche économique et à une entité géographique. Les entreprises sont tirées au sort parmi toutes celles qui sont recensées dans le Registre des entreprises et des établissements. Le nombre de salaires communiqués (1,7 millions) dépend de la taille de l’entreprise: une petite entreprise fournit tous les salaires, tandis qu’une grande ne transmet que la moitié ou le tiers de tous ses salaires.

Le taux de réponse est excellent: 83% en 2008. En bref, rien ne permet à ce jour de dire que les chiffres publiés ne sont pas fiables.

Pouvoir disposer de chiffres et d’informations fiables est élémentaire et nécessaire au bon fonctionnement de notre société et de ses institutions. Que seraient les décisions politiques et gouvernementales si elles ne pouvaient plus se baser sur des bases vérifiées et vérifiables? En cela, l’Office fédéral de la statistique joue un rôle primordial, qu’il s’agit de soigner et de défendre.

Ces derniers mois, l’OFS semble avoir pris le parti de ne plus fournir le même niveau de prestations, en particulier les informations en matière d’égalité salariale et ses analyses des résultats de l’ESS. Balayer la poussière et la cacher sous le tapis ne la fait pas disparaître pour autant. Ne plus traiter d’un problème – les différences et la discrimination salariales – ne va certainement pas aider à le résoudre. Cette attitude de l’administration est préoccupante et Travail.Suisse va s’employer à ce que cela change. l

* responsable de la politique de l’égalité, Travail.Suisse, www.travailsuisse.ch. Texte paru dans le Service de presse de Travail.Suisse n° 18, 7 décembre 2009, «Egalité des salaires».

1 Le calculateur de salaire en ligne de l’Observatoire genevois du marché du travail (http://www.geneve.ch/ogmt/calculateur/welcome.asp) est limité au canton de Genève. L’OGMT a d’ailleurs participé à l’élaboration de la méthode utilisée par le calculateur de l’USS, disponible sur son site, avec le professeur Yves Flückiger de l’Observatoire Universitaire de l’Emploi de l’Université de Genève.

2 Voir le Service de presse n° 4 de Travail.Suisse, «Dialogue sur l’égalité des salaires: Travail.Suisse participe», 16 mars 2009.

Opinions Contrechamp Valérie Borioli Sandoz

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