UNE ÉLECTION COMME LES AUTRES?
L’élection du 20 avril 2008 n’est pas banale. Elle désignera le procureur général, soit celui qui fera la politique pénale, dirigera la Justice genevoise durant six ans et accompagnera des réformes importantes. Les citoyens feront un choix fondamental sur la personne, mais aussi sur le programme. Leur choix aura des effets sur leur quotidien, comme sur des grands principes – par exemple l’égalité de traitement des justiciables.
Cette élection s’inscrit-elle dans une classique dichotomie gauche/droite? La ligne de séparation entre les camps est différente de celle qui prévaut pour d’autres élections au scrutin majoritaire. C’est la société civile qui m’a poussé à me porter candidat. Des avocats, des magistrats, des professeurs d’université, des professionnels de toutes tendances qui en avaient assez des carences du candidat sortant. Ainsi, bien des personnes qui me soutiennent ne se reconnaissent pas dans les partis de l’Alternative. Soit leur démarche a un caractère individuel, soit elle procède d’une réflexion fondée sur une pratique professionnelle, comme celle des membres de l’Association des juristes progressistes.
L’ASLOCA (Association suisse des locataires) s’engage également sur la base de sa grande expérience des relations entre bailleurs; elle n’est pas l’auxiliaire aveugle de tout candidat issu de la gauche. De surcroît, ces soutiens collectifs sont partis de la base.
Quant au candidat sortant, il est en revanche appuyé par une coalition des partis de droite, mais hétéroclite, qui va du PDC à l’UDC en passant par le MCG.
Beaucoup d’électeurs de droite m’ont d’ailleurs déclaré leur soutien, et voteront hors des consignes de leur parti. Pourquoi? Parce que c’est un choix institutionnel, super partes, au-dessus des clivages traditionnels, qui privilégie l’indépendance, la droiture et la force de travail.
Certaines voix de gauche auraient probablement soutenu un candidat de qualité si l’Entente en avait présenté un. Un temps, il avait été question du procureur fédéral Christian Coquoz, ancien bras droit de Bernard Bertossa, très réputé pour son indépendance et son courage.
En quoi les programmes diffèrent-ils? Occuper un tel poste n’a rien d’une course aux honneurs. Le revendiquer pour appliquer «toute la loi pénale», comme le dit mon adversaire, c’est proclamer une absence de choix. Pourquoi alors passer par l’élection populaire? En réalité, certains choix implicites sont bien opérés, comme la focalisation sur les mendiants ou sur une partie de la criminalité locale, comme le petit trafic de stupéfiants, illustrations d’un slogan vide de sens, «la tolérance zéro». Aucun procureur général ne revendiquera jamais la tolérance 5% ou la tolérance 3%, comme si la commission de crimes ou de délits pouvaient se quantifier au même titre que la production de boulons ou d’écrous!
Le respect du suffrage universel consiste à énoncer clairement des choix et à s’y tenir. On ne doit pas courir après l’actualité pour bâtir sa politique pénale. L’exemple des mendiants est parlant à cet égard. Après avoir décidé du jour au lendemain de vider les gobelets de la quinzaine de mendiants présents dans le canton de Genève, le candidat sortant a réorienté son discours en raison des réactions du public, prétendant lutter contre des filières alors que cette dimension était totalement absente de ses premières déclarations.
Six années de chasse aux trafiquants de rue n’ont pas fait diminuer le nombre d’infractions contre le patrimoine, ni rendu plus difficile l’accès aux stupéfiants. Prétendre continuer dans cette voie, c’est uniquement chercher à plaire à une partie de l’opinion, sans souci d’efficacité.
L’ouverture de certaines enquêtes, contre les gardiens de prison de Champ-Dollon – sur la base des déclarations d’un multirécidiviste, qui a dû être bien surpris d’être ainsi cru sur parole –, contre certains professeurs d’Université, voire dans l’affaire de la «rue du Stand» attire certes l’attention de certains médias, mais ne constitue pas une politique pénale. Mais après les shows télévisés, que reste-t-il? Rien: des classements, des acquittements, des dossiers enterrés. Ce n’est pas une politique pénale, mais une politique spectacle et de la propagande populiste.
Les violences conjugales sont toujours préoccupantes. Au-delà d’un chiffre noir considérable – on parle de 80% d’infractions qui ne sont pas dénoncées en matière sexuelle seulement – les atteintes à la santé physique ou psychique, voire à l’intégrité sexuelle des victimes sont nombreuses et graves. Le canton de Genève dispose d’une législation permettant d’éloigner les conjoints ou compagnons violents avant même de devoir saisir la justice pénale, qui aurait ainsi un effet préventif important. Alors qu’une loi identique sur les violences domestiques existe dans les cantons de Neuchâtel et de Saint-Gall, où elle est appliquée, elle est restée lettre morte dans celui de Genève. Il est important que ce texte soit mis en application aussi à Genève. Le canton est doté d’associations qui se préoccupent des victimes sont demanderesses d’une autre politique dans ce domaine, pour que l’on n’attende pas des violences graves et avérées pour intervenir. Les associations souhaitent aussi que l’accueil des victimes et la prise en charge de ces dossiers tiennent mieux compte des spécificités de ce type de délinquance. Il faudra pour leur répondre examiner la piste d’une équipe spécialisée au sein du Parquet. La réforme de la procédure pénale pour 2010 est un moment idéal pour penser à de telles améliorations.
Il faut également sécuriser l’espace public en commençant par mieux réprimer la conduite en état d’ébriété, sous l’effet de stupéfiants, ou à une vitesse excessive. Le nombre de tués sur les routes du canton a passé de seize à vingt de 2006 à 2007 et il faut le faire diminuer. Quantité d’infractions contre le patrimoine, elles aussi en augmentation, sont causées par la consommation de stupéfiants. Or une lutte contre le trafic qui n’est pas réorientée vers les filières restera inefficace. Il faut combattre l’offre et le recyclage.
Le chantier de l’adaptation du droit genevois aux nouvelles normes de procédure fédérales, tant sur le plan civil que sur celui pénal, est très important. En tant que procureur général, j’entends m’y investir personnellement, de même que je me suis impliqué dans l’adaptation du droit public genevois au droit public fédéral, qui doit être prête pour la fin de l’année 2008.
Il s’agit là des trois priorités que j’entends défendre jusqu’à l’issue de cette campagne.
Certains autres domaines méritent également d’être mieux suivis, comme celui de la lutte contre les auteurs d’actes de torture ou de crimes contre l’humanité. Le Parquet genevois est resté complètement inactif dans ce domaine alors même que la poursuite revient aux cantons lorsqu’un suspect se trouve sur leur sol. Certes, certains bénéficient d’immunités diplomatiques, mais pas tous. Je veux organiser le Ministère public de manière telle que ces dénonciations soient traitées efficacement. Ce n’est pas une question de nombre, mais de suivi: il faut intervenir rapidement, tant que les personnes suspectées se trouvent sur sol genevois. L’inaction dans ce domaine est inacceptable, surtout dans le canton dépositaire des Conventions dites de Genève.
Actuellement, la justice des mineurs est complètement indépendante, en 2010, il y aura un des magistrats du Parquet qui s’occupera des dossiers des mineurs. Dès aujourd’hui, il faut se mobiliser pour une prise en charge des jeunes délinquants en milieu ouvert, sauf pour les cas les plus graves. L’établissement la Clairière, qui leur est réservé, est chroniquement surchargé par les détentions, au détriment des placements pour observation. Quant aux placements hors du canton, ils sont d’un coût très élevé. L’intervention en milieu ouvert sert à prévenir la commission d’actes graves et permet de conserver au jeune délinquant son milieu scolaire et familial, lorsque cela n’est pas contre-indiqué; la justice des mineurs doit pouvoir y recourir plus systématiquement qu’à l’heure actuelle. Elle doit être dotée de moyens suffisants à cet égard.
Enfin la lutte contre la criminalité économique doit être reprise en vigueur: les faillites frauduleuses, par exemple, qui sont dénoncées par l’Office des faillites au Ministère public, avec leur cortège de salaires, de cotisations sociales et d’impôts impayés doivent être suivies de près. Cette délinquance touche de près notre communauté, même s’il n’est pas toujours visible.
Quelques mots, pour conclure, sur la campagne elle-même. Je constate que nos adversaires font feu de tout bois: au lieu d’attendre le verdict du Tribunal fédéral dans l’affaire des élections à Vernier, annulées par le Tribunal administratif, ces mêmes adversaires avertissent la presse qu’ils m’ont dénoncé au Conseil supérieur de la magistrature. Dans tout cela, la comparaison des programmes passe au second plan. En ce qui me concerne, j’entends continuer à m’adresser à des citoyennes et à des citoyens responsables, pas sous la forme de la polémique, mais sous celle de la réflexion citoyenne. Il faut avoir le courage de se présenter dans cette campagne en tenant un discours adulte destiné à ces citoyennes et citoyens responsables. Par exemple, il faut dire clairement qu’on luttera contre les violences domestiques certes par la répression, mais aussi par l’éloignement et la prévention, sans empiéter dans le domaine des associations actives dans ce domaine. Le procureur général ne peut pas dire non plus, s’il est sincère, qu’il entend «tout poursuivre». J’ai été frappé par l’article paru dans Le Courrier du 14 mars 2008, à la suite de la conférence de presse de M. Moutinot et de Mme Bonfanti. Le sentiment d’insécurité décroît dans la population et Mme Bonfanti réclame une meilleure collaboration avec les communes et plus de travail social. Nous sommes exactement dans la ligne de ce que j’énonce depuis le début de ma propre campagne: le procureur général réprime. Mais il ne peut pas tout! Les collectivités publiques, les acteurs sociaux, les citoyennes et les citoyens ont aussi un rôle à jouer pour améliorer la vie commune. I