EMPRISONNER EST UN ACTE VIOLENT
Messieurs, je ne sais pas ce que vous en pensez, mais pour beaucoup l’emprisonnement est la seule réponse qu’une société puisse offrir à ses délinquants. L’incarcération est pour beaucoup indispensable et nécessaire, et enfermer est le seul mot qui vient à l’esprit lorsqu’il s’agit de sanctionner celui qui a commis un délit. Je ne sais pas ce que vous, vous en pensez. A nos yeux, pourtant, l’emprisonnement ne peut être que la réponse ultime. Elle ne peut être que la dernière solution. La pire de toutes. La plus absurde. Emprisonner un homme est un acte violent.
Dans la plupart des pays d’Europe, en violation des règles pénitentiaires européennes du Conseil de l’Europe, la privation de liberté n’est pas, comme il se doit, une mesure de dernier recours et de ce fait nos prisons débordent. Ça n’est pas rien. C’est une longue histoire car elles débordent depuis toujours, mais cela mérite bien qu’on en discute ensemble. Car chaque jour la prison fabrique de nouvelles violences et elle se retient bien de nous en avertir.
Il y a un an, «Trop c’est trop», campagne française pour le respect du numerus clausus en prison, installait une cellule de 9 m2 sur la place de l’Hôtel de Ville de Paris. C’était l’entre-deux tours des élections présidentielles, il s’agissait d’interpeller le politique et le citoyen, de réclamer que dans une place ne soit enfermée qu’une personne, en respect de la dignité de chacun. Il s’agissait de rendre visible l’invisible. C’était – et c’est toujours – urgent. Il y avait un traçage blanc au sol, trois lits dont deux superposés, un lavabo et un WC. Le tout recomposait une cellule de 9 m2, la même que celle où l’on emprisonne jusqu’à quatre prisonniers.
Un jour, une femme qui traversait la place a crié qu’ils l’avaient bien mérité. Que pour tous ces criminels, la prison n’était «pas encore assez dure pour eux…». Ils. Voilà le sujet. Rappelons alors, pour bien commencer et parce que vous ne l’ignorez pas, qu’en prison, les crimes de sang sont de 3%. Qu’il y a bien plus de petits délinquants, de voleurs, de malades. Rappelons surtout pourquoi ce ils nous regarde.
L’emploi premier de la prison est de protéger la société des individus dangereux. Il est donc possible de sortir de prison tous ceux qui ne le sont pas, ou ne le sont plus. Il, c’est celui qui dérive, celui qui se perd, s’est perdu, peut parfaitement se retrouver si on lui en laisse le temps, si on lui en donne les moyens. Ça n’est pas l’autre, mais nous. Un excès de vitesse en trop, un crime passionnel, un acte de folie… il est bien facile d’être jeté en prison. Le peuple réclame la punition, le politique le suit. Le politique crie à l’insécurité, le peuple réclame l’intransigeance. Cercle sans fin. On enferme pareillement celui qui ne paie pas sa pension alimentaire, celui qui abrite un sans-papiers, celui qui casse des vitrines, celui qui pète les plombs.
Il est aussi, parfois, innocent. Le procès d’Outreau en est le parfait exemple. Ils pouvaient bien être pendus sur la place publique, ils avaient commis le pire. Ils n’avaient pourtant rien fait, mais ont payé le prix fort: des cellules surpeuplées où l’on se moquait bien de ce qui pouvait leur arriver. D’aucuns en sont sortis meurtris. L’un s’est suicidé. Un autre tomba ensuite pour de petits trafics. A entasser les prisonniers, nos maisons d’arrêt les transforment quotidiennement en victimes, puis en révoltés. La justice a peu à peu abandonné son ambition d’être éclairée. D’être juste. C’est la plus folle des lâchetés car elle seule peut offrir la réponse raisonnable, raisonnée, que l’Etat doit adresser à l’auteur d’un délit.
Au cours du XXe siècle, dans de nombreux pays, la loi a – le plus souvent contre l’avis général – décidé de mettre fin à la peine de mort. Ce faisant, elle ne niait pas la souffrance de celui qui avait perdu un proche, elle affirmait seulement sa volonté de construire une humanité capable de réparations, et non plus seulement de punitions. A la barbarie, elle décidait de ne plus répondre par la barbarie. Elle le décidait au nom de tous, même si tant encore s’y refusaient. Elle était dans son rôle. Etait-ce, finalement, pour remplacer une violence par une autre?
Aujourd’hui vous n’ignorez rien de tout ceci. Vous savez, en condamnant un homme, à quoi vous le condamnez. Vous savez qu’en continuant d’enfermer comme nous le faisons, dans les conditions où nous le faisons, nous produisons de la violence. Vous pouvez décider qu’il est possible de faire autrement. Vous pouvez refuser de remplir les prisons. D’aider la société à s’interroger sur le sens qu’elle donne à l’accomplissement d’une peine. Le personnel pénitentiaire, les familles, les associations l’attendent.
S’il y a un enjeu – mais dites-nous ce que vous en pensez – c’est bien celui-ci. Non pas d’embaucher plus de psychiatres, plus d’infirmiers, plus de surveillants, ou de mettre plus de lumières dans les coursives. Mais de poser enfin la question de l’alternative à la prison. Et de le faire en notre nom. Il existe de vraies peines, qui ne sont pas privatives de liberté. Il existe d’autres façons de sévir. De corriger. Inventons enfin un monde avec moins d’enfermé-e-s, inventons une société avec moins de prisons. I
* Karelle Ménine est journaliste et écrivain. Bernard Bolze est l’initiateur de la campagne «Trop c’est trop», pour le respect du numerus clausus en prison, et fondateur de l’Observatoire international des prisons (OIP). www.tropctrop.fr