Si vous avez du temps à perdre le 1er août prochain, n’oubliez pas d’écouter les discours du 1er août et d’y recenser les références au fédéralisme dont les orateurs les farciront (un must du genre). Que la Confédération suisse ne soit plus une Confédération mais une fédération, on s’en fout. Qu’elle ne soit plus une fédération que quand ça arrange ceux qui la contrôlent, c’est là qu’est le problème. Ceux qui vont tartiner leurs discours de révérence au fédéralisme sont ainsi les premiers à le piétiner quand il les empêche de faire ce qu’ils veulent. Par exemple, permettre de sous-payer le petit personnel du nettoyage, de l’hôtellerie et de la restauration, de la coiffure (et on en passe). Donc, quand des cantons introduisent un salaire minimum légal, nos grands fédéralistes sortent l’artillerie lourde au parlement: le salaire minimum cantonal doit s’écraser devant les conventions collectives qui prévoient des salaires minimums plus bas.
Et au passage, on s’assoit aussi sur la démocratie directe, quand ces salaires minimums ont été institués par le peuple des cantons, comme dans le Jura, à Neuchâtel ou à Genève. Ou pourraient l’être à Fribourg, dans le Valais ou dans le canton de Vaud. 25 cantons sur 26 ont dénoncé cette atteinte à leur droit de se doter d’un salaire minimum cantonal? la droite fédérale et le patronat s’en foutent. La plupart de ces cantons sont gouvernés pourtant par la droite, et ne veulent pas pour eux d’un salaire minimum? la droite fédérale s’en fout. Le conseil fédéral lui-même, à majorité de droite lui aussi, ne voulait pas de la motion anti-salaire minimum? la majorité de droite du Conseil national s’en fout.
Le président de l’Union Syndicale Suisse, Pierre-Yves Maillard, interroge: «Quelle justification y a-t-il à annuler par une loi fédérale le vote du peuple (d’un) canton? Qui est gêné à Obwald, à Zoug ou à Zürich par le salaire minimum voté par le peuple à Genève?»… et de répondre «personne, absolument personne»… Il est vrai que de justification, la droite parlementaire fédérale n’en a pas besoin – sauf celle de la loi du plus fort. Et tant pis pour le fédéralisme et le vote populaire. Et pour les coiffeuses, les serveurs de restaurant, les vendeuses, les nettoyeurs et les nettoyeuses, les aides-soignants à domicile, qui travaillent à plein temps et pour qui la fin du mois tombe le 15.
Le fédéralisme et la démocratie directe sont des totems suisses. Et c’est à leur ombre qu’on a pu instaurer des salaires minimums à Genève, à Neuchâtel, dans le Jura, au Tessin, et qu’on pourrait les instaurer à Fribourg, en Valais et dans le canton de Vaud, comme une obligation légale de verser aux travailleuses et aux travailleurs des salaires qui leur permettent de vivre dignement sans avoir besoin de recourir à l’aide sociale. Du coup, on y tient, à ces totems. Assez pour ne pas laisser impunément la droite parlementaire et patronale pisser dessus: un référendum mitonne doucement dans nos marmites. En attendant quoi on s’autorisera même à trouver jouissif le paradoxe d’un canton de Genève qui dénonce l’atteinte au fédéralisme que commet la motion du Centre qui s’attaque aux salaires minimums, mais d’un canton qui a tout fait, de son côté, pour nier à ses communes le droit d’accorder à leur population la plus modeste des prestations sociales comme les allocations de rentrée scolaire ou des prestations complémentaires aux prestations complémentaires cantonales (on ne parle donc pas ici des jetons de présence que les conseiller·es municipaux et pales s’accordent à ex et elles-mêmes).
Ce n’est même pas que la main gauche du canton ignore ce que fait sa main droite, c’est que sa main droite fait elle-même tout et son contraire. Un doigt d’honneur et le poing levé en même temps, c’est rafraîchissant.