En mai 2024, alors que les bombes pleuvaient sur Gaza, l’ambassade suisse à Tel-Aviv réunissait les dirigeants des entreprises helvétiques actives en Israël. Thème du jour: le «fort potentiel» de développement du commerce entre l’Etat hébreu et la Suisse, notamment en matière de hautes technologies. A l’issue de cette discussion «fructueuse», l’ambassadeur évoquait l’idée «d’intensifier la promotion économique de la Suisse»1>Ambassade Suisse d’Israël: Rapport économique 2023. Août 2024..
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L’épisode éclaire les priorités de la diplomatie helvétique en plein génocide: loin d’utiliser le levier des sanctions économiques pour exiger un cessez-le-feu et l’application du droit humanitaire, il s’agit d’abord de favoriser les affaires – et leurs retombées positives pour les firmes suisses, qui ont exporté pour plus de 2 milliards de biens et services vers Israël en 2023.
Ce business a aussi un volet militaire. En 2024, le Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco) a ainsi autorisé des sociétés helvétiques à vendre des biens à double usage, civil et militaire, à l’Etat hébreu, pour un montant total de 16,7 millions de francs – un record, souligne la Wochenzeitung qui a révélé ces chiffres le 29 mai dernier. La tendance ne semble pas près de s’inverser: au cours du premier semestre 2025, le montant des exportations de biens à double usage vers Israël a continué à augmenter. Précisons qu’en 2024, le Seco a aussi permis la vente à Israël de «biens militaires» – une catégorie qui exclut les armes, les munitions, les explosifs et les autres moyens de combat – pour plusieurs centaines de milliers de francs2>Seco: Exportations de matériel de guerre en 2024. 11 mars 2025.. Certains de ces équipements pourraient avoir été utilisés au cours des crimes de guerre massifs commis par Israël depuis le 7 octobre 2023.
Conjugué avec l’influence du lobby israélien à Berne, la défense cynique des intérêts du business helvétique est probablement l’une des clés du honteux silence maintenu par le Conseil fédéral face à Gaza. Un épisode qui rappelle les pires moments de l’histoire suisse, de la collaboration avec l’Allemagne nazie au soutien indéfectible au régime d’apartheid en Afrique du Sud, malgré l’embargo international de l’époque.
Depuis quelques semaines, les pressions visant à imposer un changement de cap s’intensifient enfin. Ce jeudi, le Conseil national pourrait faire un pas concret dans ce sens, en acceptant une motion défendue par le vert Nicolas Walder. Le texte exige que la Suisse mette fin à la coopération militaire avec tous les Etats impliqués dans le conflit à Gaza. Il serait grand temps.
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