Le Burkina Faso, pays chéri des Suisses pendant des décennies, a bien changé. Son président actuel, Ibrahim Traoré, arrivé au pouvoir par un coup d’Etat en septembre 2022, a décidé de tourner le dos à la France, et plus généralement aux pays occidentaux, pour se rapprocher résolument de la Russie. Il figurait d’ailleurs parmi la vingtaine de chefs d’Etat présents à Moscou le 10 mai 2025, à l’occasion de la célébration de la victoire contre l’Allemagne nazie, et s’est entretenu avec Vladimir Poutine.
Ce tête-à-tête avec le président russe a fait l’objet d’une large diffusion au Burkina Faso, mais aussi au Mali et au Niger voisins, avec lesquels le Burkina forme l’Alliance des Etats du Sahel (AES), qui voue quotidiennement l’Europe aux gémonies, tout en vantant les mérites de la Russie. Rien de bien nouveau. Ce qui l’est en revanche, c’est la déferlante de vidéos générées par l’intelligence artificielle (IA), mettant en scène le jeune président de la transition du Burkina Faso, 37 ans, transformé en une sorte de super héros, sauveur d’une Afrique convoitée par de vilains prédateurs occidentaux qui cherchent à le renverser, sans y parvenir, grâce à la protection des Russes. Relayées sur tous les réseaux sociaux, ces vidéos qui manient le vrai et surtout le faux de manière plus ou moins subtile font un tabac dans toute l’Afrique de l’Ouest et au-delà.
Sur fond de voix monocorde, on voit ainsi un Ibrahim Traoré courtisé par les grands de ce monde, refusant l’invitation de Trump d’assister à son intronisation à Washington (à laquelle il n’a jamais été convié); tenant tête à Elon Musk qui lui propose d’installer au Burkina Faso «une méga-usine Tesla» – une proposition qui aurait été faite en janvier dernier au Centre de conférence international de Genève lors d’un «sommet mondial des investissements durables» (sic). Reflet de la paranoïa ambiante, des vidéos postées sur TikTok accusent le général américain Michael Langley, qui dirige le Commandement des Etats-Unis pour l’Afrique, de vouloir renverser, avec l’appui de la Côte d’Ivoire, la junte au pouvoir à Ouagadougou. On y découvre aussi le nouveau pape Léon XIV vantant les mérites de l’homme fort du Burkina, ou encore une Beyoncé chantant à sa gloire.
A ce stade, on dépasse, et de loin, la rhétorique dont les présidents autoritaires sont coutumiers; les limites du genre sont explosées. A tel point que plusieurs sites de fact checking sur le continent ont commencé à passer au crible les productions audiovisuelles délirantes «made in Ouagadougou»; avec l’aimable complicité des propagandistes russes de l’ex-réseau Wagner, désormais appelé Africa Corps. Faysal Arnold Boukary d’Africa Check révèle par exemple que la vidéo de l’escorte aérienne du président Ibrahim Traoré volant vers la Russie est fausse, puisqu’il s’agit d’avions de l’armée de l’air saoudienne escortant Trump en route vers l’Arabie saoudite. Un deepfake parmi de nombreux autres, que l’AFP tente également de démêler; en expliquant par exemple que les photos de résidences à prix abordable à Ouaga initiées par Ibrahim Traoré sont en réalité celles d’un projet immobilier situé à Tizi Ouzou, en Algérie.
Plus c’est gros, plus ça semble passer, car ces vidéos sont visionnées des millions de fois dans de nombreux autres pays. Y compris au Nigeria, où certains craignent que ce jeune militaire présenté comme un héros panafricain se réclamant de Thomas Sankara ne fasse des émules. Les outrances de la propagande à sa gloire voulue par Ibrahim Traoré, dans laquelle l’intelligence artificielle joue un rôle majeur, font en tout cas du Burkina Faso un cas d’école, qui risque fort de se répandre dans d’autres Etats africains dont les présidents autoritaires à vie, ou mal élus, rêveraient eux aussi d’être virtuellement encensés.